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l’empereur Alexandre qui lui dit : « Nous avons été vaincus, marquis, nous avons été vaincus ; » et ce fut tout. Il vint ensuite s’établir à Dresde modestement, vivant dans la solitude, dans l’étude, ne voyant personne ; on le rencontrait le matin à la messe de l’église de la cour, un gros livre de prières devant lui. Tant d’émotions contenues finirent par le terrasser lui aussi. Privé de l’usage de ses membres par une attaque d’apoplexie, presque aveugle, il ne bougeait guère de son lit que pour se transporter sur une chaise longue où il restait des heures entières gémissant, sans proférer une parole. Il conservait toutes ses facultés intellectuelles, sa prodigieuse mémoire, son jugement lucide et même une ardeur de sentiment étonnante chez un homme qui paraissait à peine encore de ce monde. Il ne parlait jamais de son passé ; un sculpteur lui ayant demandé la permission de faire son buste : « Non, répondit-il, un capitaine qui a perdu sa campagne n’a pas le droit de transmettre ses traits à la postérité. » Il s’éteignit le 30 décembre 1877.

La Pologne ne se rachètera de son erreur de 1863 que quand elle aura élevé une statue à ce grand homme sur la plus belle place de Varsovie. Il était dans le vrai en considérant l’union avec la Russie comme l’unique garantie contre la germanisation, le péril véritable de la Pologne. Les Polonais qui se déclarent inconciliables avec la Russie commettent un véritable suicide national[1]. Pendant l’insurrection un certain nombre de femmes polonaises prirent part aux combats : une des plus renommées par son héroïsme finit par épouser un Russe. Dieu veuille que la Pologne fasse de même !

Les résultats de cette campagne mal engagée, mal conduite, mal finie, ne furent pas été moins malheureux pour Napoléon III. L’Angleterre avait rompu une fois de plus l’alliance de la France avec la Russie que le but constant de sa politique, dans tous les temps, a été d’empêcher. « Le Tsar Pierre, dit Saint-Simon, avait une passion extrême de s’unir avec la France ; il désirait nous déprendre peu à peu de notre abandon à l’Angleterre et ce fut l’Angleterre qui nous rendit sourds à ses invitations jusqu’à la messéance, lesquelles durèrent encore longtemps après son départ de Paris. On a eu lieu depuis d’un long repentir des funestes charmes de l’Angleterre et du fol mépris que nous avons fait de

  1. Anatole Leroy-Beaulieu.