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ferons nos observations, mais une démarche collective, de quelque courtoisie qu’elle soit enveloppée, constituerait une menace que nous ne nous croyons pas autorisés à adresser à un loyal allié. — Dans tous les cas, une interrogation préalable s’imposait : « Si la Russie répond aux remontrances collectives par un refus semblable à celui que nous avons déjà l’un et l’autre reçu séparément, que ferons-nous ? Nous contenterons-nous de gémir ou agirons-nous ? Si nous nous en tenons à gémir, je n’en suis pas ; nous avons trop reproché à Louis-Philippe d’avoir su mieux parler qu’agir, nous nous sommes trop vantés d’être jaloux plus qu’aucun de l’honneur national pour nous en tenir à des manifestations de paroles sans résultats. Agirons-nous ? Où ? Comment ? Quel sera notre rôle ? Quel sera le vôtre ? »

Drouyn de Lhuys ne demande rien, ne précise rien, il accepte immédiatement avec bonheur. « Le gouvernement français n’oppose aucune objection, répond-il, à l’initiative anglaise et si les puissances y adhèrent, nous serons prêts nous-mêmes à donner notre assentiment à une démarche collective (7 mars). » Il chargea nos ambassadeurs d’instruire les cours étrangères de nos intentions (16 mars). Or, quelles étaient les dispositions connues des puissances, au commencement de mars, quand il donna ce consentement empressé à l’action combinée, sinon collective ? On savait que l’Angleterre accorderait à la. Pologne autant, de dépêches qu’on le voudrait, mais pas la moindre assistance matérielle ; que la Prusse, plutôt que de consentir à la constitution d’une Pologne indépendante, prendrait les armes en compagnie de la Russie ; que l’Autriche, quelque mauvaises que fussent ses dispositions envers sa voisine, répugnait à une démarche hostile. On savait enfin que le Tsar ne céderait pas, car il serait couvert lin mépris public si, après l’ingratitude agressive des Polonais envers ses réformes et ses amnisties, il leur accordait, quoi que ce soit sous la menace de l’Europe, après l’avoir refusé aux instances confidentielles et amicales d’un allié.

Il était donc absolument certain, d’une certitude en quelque sorte mathématique, que la démarche collective aurait un échec encore plus indubitable que les démarches individuelles et que, dès lors, on serait acculé à cette impasse de subir une humiliation pire que celle de Louis-Philippe, parce qu’on l’avait fait précéder de plus de fanfares, ou de relever le dédain des refus par la guerre, guerre dans laquelle on serait seul, certainement,