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du travail, mais celui tendant à opprimer la liberté de ceux qui ne voulaient pas le cesser ; il n’autorisait pas en principe la coalition pour la réprimer dès qu’elle devenait effective : quoi qu’il arrive au cours d’une coalition, elle ne sera jamais arrêtée ou interdite ; la justice ne procédera que contre ceux qui exerceront une pression morale sur les autres pour les contraindre à les suivre. Et de quel délit les incriminera-t-elle ? du délit de coalition ? Non, du délit d’atteinte à la liberté du travail. Elle recherchera ceux-là seulement qui se seront spécialement concertés pour prononcer les amendes ou les interdictions, et non les participans à la coalition ayant ignoré cette entente spéciale, ou n’y ayant pas concouru. Tout l’article 416, sur lequel les esprits faux ou sectaires ont tant déraisonné à ce moment et depuis, repose sur cette idée : que s’interdire à soi-même le travail est un acte de liberté, que l’interdire aux autres est un acte de tyrannie ; il permet l’acte de liberté, il réprime l’acte de tyrannie.

La séance fut alors suspendue un instant. Picard s’approcha de mon banc de rapporteur et me dit, les larmes aux yeux : « Je n’y tiens plus ; il faut que je vienne vers vous ! » Et il me serra la main.

La seconde partie de mon argumentation fut consacrée à l’examen du système du droit commun. Le débat devint alors tout juridique. Embrassant d’un coup d’œil toute cette discussion, je dis : « Vous, qui êtes en face de moi, vous pensez que la loi accorde trop. Vous, mes amis, vous croyez qu’elle n’accorde pas assez. Vos deux assertions se détruisent l’une par l’autre ; elles ne peuvent pas être vraies à la fois, elles ne sont vraies ni l’une ni l’autre. (Marques d’assentiment.) La loi accorde, mais elle n’accorde pas trop ; elle accorde le juste et le nécessaire. A vous qui êtes en face de moi, je dis, avec la plus profonde conviction : votez la loi, car, sur cette matière, il n’y en a pas qui soit plus sagement prévoyante. Et à vous, mes amis, je dis : votez la loi, car il n’y en a pas qui soit plus véritablement libérale. (C’est vrai ! C’est vrai !) Quant à moi, messieurs, qui crois que le but suprême de la politique est, non pas de flatter et d’exciter le peuple, mais de l’élever et de le soulager… (Très bien !) Quant à moi, qui ai voué à cette cause tout ce que j’ai de forces, je suis certain de n’y avoir jamais été plus fidèle que lorsque j’ai travaillé à la loi actuelle ; et, pour le présent