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Il n’y avait rien à espérer, par conséquent, en dehors d’un octroi volontaire du Tsar, tel que celui d’Alexandre en 1815. Pour l’obtenir, il fallait ne parler ni de la Lithuanie, ni de la Podolie, etc., renoncer aux déclamations vaines, cesser d’évoquer le souvenir de 1830, donner des preuves non suspectes de loyauté, enfin ne pas exiger tout ou rien, et, en réservant l’autonomie politique comme le but final, n’y pas prétendre du premier coup, et se contenter de ce qui y acheminerait, l’autonomie administrative. Ses études générales, ses observations pratiques ramenaient comme Deak, en Hongrie, Gioberti et Manin en Italie, à comprendre que la méthode révolutionnaire est stérile et que le salut est seulement dans la méthode constitutionnelle. Toutes ces convictions se résumèrent en cette formule : « Notre passé est réduit en cendres ; il faut en construire un autre avec les matériaux du temps présent. »

Les Polonais du royaume, pas plus que les exilés, ne consentirent à demander au Tsar autre chose que de s’en aller, et ils n’écoutèrent pas Wielopolski. Ils ne s’accommodaient pas de cette sagesse prévoyante. Ils voulaient recommencer la révolution de 1830. Hors d’état d’entamer la lutte armée, ils organisèrent une manœuvre géniale nouvelle dans l’histoire des conspirations. Sachant combien les Polonais sont prenables par l’imagination et le mystère, ils instituèrent un comité directeur anonyme : des noms eussent été discutés, critiqués, on s’inclina devant l’inconnu. Le seul signe du pouvoir occulte fut un sceau, imprimé sur les actes du Comité, qui donnait le commandement à la main innomée. Ils savaient aussi que l’imagination polonaise est surtout mystique et religieuse ; que le clergé séculier, indiscipliné par suite de la vacance prolongée d’un grand nombre de sièges, les moines exaltés par des sentimens d’indépendance, tous exaspérés de l’immixtion dans leurs affaires spirituelles d’un directeur des Cultes schismatique, étaient frémissans et faciles à entraîner ; et que, les prêtres et les moines en mouvement, les femmes suivraient. Jusque-là on avait déchaîné la révolution dans les rues, ils la commencèrent dans les églises ; jusque-là on avait élevé des barricades, ils firent des processions ; on avait jeté des pavés à la tête des oppresseurs, on leur jeta des hymnes pieux.

Le vieux général Gortschacof, bon homme qui avait été d’une superbe bravoure en Crimée, perd la tête sur ce champ de bataille nouveau. Un fonctionnaire éminent, Enoch, conseilla alors