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NAPOLÉON III ET BISMARCK
EN POLOGNE


I

Ils sont venus les vrais successeurs de Frédéric, les hommes de fer par lesquels la Prusse va conquérir l’Allemagne : Bismarck est la tête, le roi, Roon et Moltke, les bras. Ils constituent un tout indivisible, on ne peut les concevoir les uns sans les autres ; Guillaume n’aurait été qu’un inspecteur de troupes distingué s’il n’eût été porté à la victoire par son organisateur, son stratège et son diplomate. Sans le roi, sans Roon et Moltke, malgré son esprit, son audace et ses ressources, Bismarck ne serait qu’un nouvel Alberoni. Ce qui est grand, terrible ce n’est pas le soliste, c’est le quatuor lui-même. Windthorst le dit un jour : « M. le chancelier a derrière lui deux millions de soldats. Faire avec de telles forces de la politique étrangère n’est peut-être pas une œuvre d’art extraordinaire. » Bismarck ne le contesta pas. « Ici siège, dit-il en désignant Moltke, celui à qui nous devons, après Sa Majesté l’Empereur, l’unité de l’Empire allemand. Sans l’armée[1], l’Allemagne n’eût pas été. » Bismarck n’est donc pour nous que le nom de la raison sociale ; nous ne lui attribuons pas exclusivement les mérites et les méfaits de l’entreprise conquérante. Même lorsque nous le nommons seul, hrevitatis causa, il reste entendu que mentalement nous ne le séparons pas du roi, du ministre de la guerre, du stratège.

Du jour où ces redoutables personnages s’emparent de la scène du monde, un changement s’y opère presque aussitôt dans les sentimens et dans les idées. La diplomatie, s’élevant

  1. 10 janvier 1885.