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le cabinet de l’empereur Hadrien ; il fut quelque temps son secrétaire ; et, en cette qualité, il a pu lire des papiers qu’on ne montrait pas au public. Comme il était très curieux de sa nature, il n’a pas négligé ces moyens d’être bien informé. Ce qu’il a recueilli ainsi de tous les côtés, il s’en est souvenu, et nous l’a transmis dans un ouvrage qu’heureusement nous avons conservé. On voit bien, quand on lit les Vies des Césars, que l’auteur a voulu faire une œuvre d’un genre nouveau ; il a évité d’y mettre ce qui se trouve dans l’histoire comme on la comprenait avant lui. Il n’y a pas rangé les événemens dans l’ordre chronologique, ce qui était la loi du genre ; la rhétorique en est tout à fait absente ; les vues politiques, les pensées générales y tiennent fort peu de place ; on n’y saisit pas la prétention de faire des leçons. En revanche, les anecdotes y abondent, racontées simplement, sans aucun souci de produire de l’effet et de faire des tableaux. On y lit des pièces originales, des lettres surtout, quand elles jettent quelque lumière sur le personnage dont il est question, les bons mots qu’on lui prête et ceux qu’on a faits sur lui ; on y énumère les monumens qu’il a construits ou réparés, les jeux qu’il a donnés au peuple, ce qui passionne tout le monde à ce moment ; on n’oublie pas les signes qui ont annoncé sa mort, car l’auteur est fort superstitieux, et ceux qui doivent le lire le sont encore plus ; enfin on nous donne de lui un portrait physique où rien n’est omis depuis la dimension de sa taille jusqu’à la couleur de ses yeux. Suétone n’éprouve aucun scrupule à nous dire sans réticence tout ce qu’on sait de ses infirmités[1], que César ramenait ses cheveux sur son front pour cacher sa calvitie, que Claude bavait et branlait la tête en parlant, que Domitien, qui avait été un fort beau garçon, quand il était jeune, fut affligé vers la fin d’un ventre énorme porté sur des jambes grêles, et ne s’en consolait qu’en disant « qu’il n’y a rien de plus charmant que la beauté, mais rien aussi qui passe plus vite. » Nous sommes ici, comme on le voit, à l’antipode de l’ancienne histoire. Il est bien probable que, dans la hiérarchie des genres littéraires, telle que les grammairiens du temps la dressaient, cette sorte d’ouvrages n’a pas occupé un rang très élevé. Jamais Pline, qui les connaissait et les aimait tous les deux, n’aurait commis l’inconvenance de mettre Suétone à côté de Tacite. Tacite est un grand

  1. Voyez la manière dont il décrit Vespasien. Vesp., 20.