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assurance « que les Juifs ne tolèrent aucune statue dans leurs villes et encore moins dans leurs temples. » Entre ces deux assertions contraires, il fallait en sacrifier une il semble que Tacite n’en ait pas eu le courage. À ce propos, je remarque qu’on ne se fait peut-être pas toujours de lui une idée bien juste. Sur quelques apparences, on le trouve raide, tranchant, affirmatif ; je serais plutôt tenté de le croire un peu hésitant et timide. Si j’avais un reproche à lui adresser, ce ne serait pas de s’être attaché exclusivement à l’un des historiens qui l’ont précédé, mais de n’avoir pas toujours su faire un choix entre eux, d’avoir voulu se servir de tous, même quand ils ne sont pas d’accord ensemble. On sent qu’il a peine à se décider entre ces opinions contraires ; elles paraissent le troubler, et même une fois il lui arrive, à propos de cette confusion de l’enseignemens qui se combattent, de désespérer qu’on puisse découvrir la vérité, et de déclarer avec quelque tristesse que, malgré tout, les plus grands événemens restent douteux : adeo maxima quaeque ambigua sunt !


V

À ces sources, où Tacite a puisé pour composer ses ouvrages historiques, il en faut ajouter une autre qui n’a guère moins d’importance.

Souvenons-nous qu’il n’est pas dans la situation de Tite-Live, qui, pour la plus grande partie de son œuvre, remonte à des époques très lointaines et ne peut les connaître qu’en s’adressant à de vieux annalistes. Tacite a été le contemporain de la plupart des faits qu’il raconte ; et il n’est séparé de ceux qu’il n’a pas vus lui-même que par une génération. Les premières années de l’Empire sont si pleines de tragiques événemens, tant de princes s’y sont rapidement suivis qu’on perd un peu la notion du temps, quand on les étudie. On a quelque peine à se figurer qu’entre l’avènement de Tibère et la mort de Néron, il ne se soit écoulé que cinquante-quatre ans. Un personnage du Dialogue sur les orateurs, pour affaiblir le respect qu’on portait aux écrivains du grand siècle, fait remarquer que ceux qu’on appelle les anciens le sont beaucoup moins qu’on ne se le figure, et que, par exemple, à la dernière distribution qui fut faite au peuple par l’empereur