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a eue au temps de Domitien avec un délateur puissant, pour qu’il la mette dans ses Histoires ; puis, le récit achevé, il s’excuse presque de l’avoir fait. « Je suis bien sûr, lui dit-il, qu’il n’aurait pas échappé à vos consciencieuses recherches, puisqu’il est dans les Actes publics. » Il ne met donc pas en doute que Tacite dépouille scrupuleusement les Acta publica et qu’il profite de tout ce qui s’y trouve.

Mais, s’il est probable que Tacite a plus consulté les documens officiels qu’on ne le faisait de son temps et que ses lecteurs ne l’exigeaient, il faut bien avouer qu’il ne s’en est pas autant servi que nous le voudrions. La raison qui l’en a détourné est facile à comprendre, quand on le connaît. Il ne partageait pas le goût de Mucien et le nôtre pour les journaux, et nous aurons plus loin l’occasion de constater que les Acta diurna de Rome lui paraissaient pleins de récits futiles qui répugnaient à sa gravité. Les procès-verbaux du Sénat (Acta Senatus) ne le contentaient pas davantage ; ils étaient rédigés par un fonctionnaire impérial soigneusement choisi parmi les plus zélés, qui n’y mettait que ce qu’on voulait, et comme on le voulait : ce n’est pas là qu’on pouvait aller chercher la vérité. Ils étaient pleins de basses flatteries pour les plus mauvais princes ; ils contenaient des mensonges grossiers à propos de fausses victoires et de complots imaginaires, des éloges honteux d’affranchis et de délateurs, des accusations calomnieuses contre les plus honnêtes gens, et Tacite devait avoir quelque peine à en supporter la lecture. Il avait tort certainement ; de tout ce fatras un historien avisé pouvait tirer des renseignemens utiles, des dates plus certaines, des faits plus précis, et il est regrettable qu’il n’ait pas fait plus d’efforts pour vaincre sa répugnance.


IV

Quoique Tacite ait fort maltraité ceux qui avaient écrit avant lui l’histoire de l’Empire, il s’en est beaucoup servi et ne le cache pas. Comme ils étaient contemporains des faits qu’ils rapportent, on trouvait chez eux des informations qu’il n’était pas possible de négliger. Mais de quelle manière et dans quelle mesure a-t-il usé d’eux, c’est une question qu’on a fort agitée de nos jours, et qui n’en est pas devenue plus claire.