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qu’après un si grand éloge, il n’ait pas cru devoir excepter Fabius du blâme qu’il inflige à ceux qui ont écrit l’histoire sous l’empire, et lui faire, parmi eux, une place à part. Faut-il croire, comme on l’en accuse ordinairement, qu’il se soit ouvertement contredit ? N’est-ce pas plutôt qu’en le proclamant le plus éloquent des historiens de son époque, il ne voulait pas dire que ce fût pour cela un historien accompli, et que l’éloquence ne lui paraissait pas la seule qualité, ni même peut-être la plus importante, pour écrire l’histoire ? Précisément, dans le même passage de l’Agricola, il a employé le mot d’éloquence d’une façon qui fait réfléchir. C’est au moment où il va décrire la Bretagne. Il fait remarquer que les écrivains antérieurs, qui ne la connaissaient pas, s’en sont tirés par de belles phrases, mais qu’il compte, lui, remplacer l’éloquence par la vérité : quae priores eloquentia percoluere rerum fide tradentur. Il semble bien qu’on sente, dans cette phrase, une pointe de fine ironie contre ceux qui ne sont préoccupés que du bien dire, qui pensent qu’au besoin il tient lieu de l’exactitude des faits, et qu’il peut suffire à tout. Cette opinion n’était donc pas la sienne, et l’on peut en conclure, sans témérité, qu’il n’entendait pas donner, dans son œuvre, à ces qualités de forme et d’extérieur plus d’importance qu’elles n’en doivent avoir.

Je crois donc, si j’ai bien interprété la pensée de Tacite dans ces quelques phrases de ses prologues, que la préférence qu’il accorde aux historiens de l’époque républicaine, si sérieux, si pleins de qualités viriles, si instruits des affaires publiques, si étrangers à tout artifice oratoire, et sa sévérité pour ceux de l’Empire, qui, pour plaire à une société de lettrés raffinés, ont trop sacrifié aux agrémens de la composition et du langage, qui venus en un temps où la vérité était difficile à découvrir et dangereuse à dire, l’ont trop aisément remplacée par d’autres mérites, permettent de croire qu’au moment où il a commencé ses premiers ouvrages, il avait dans l’esprit la conception d’une histoire simple, grave, sincère, qui tirerait surtout son intérêt de la sûreté des informations, et tiendrait moins à la beauté de la forme qu’à la solidité du fond.

Voilà, je crois, ce qu’il a voulu faire Est-ce vraiment ce qu’il a fait ?