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fictifs et de sujets imaginaires. Mais on en usait aussi lorsqu’au lieu d’argumens inventés on alléguait des événemens réels, qu’on empruntait aux souvenirs du passé. Il était d’usage de les altérer sans plus de scrupule pour les accommoder aux besoins de la situation présente. C’était Cicéron lui-même qui en donnait la permission. « Quand le rhéteur invoque l’histoire, disait-il il ne lui est pas défendu de mentir. »

Ainsi les jeunes gens n’apprenaient pas à l’école le souci de l’exactitude et le respect de la vérité. Ils y prenaient de mauvaises habitudes d’esprit, et, si plus tard ils devenaient des historiens, ils pouvaient être tentés de n’y pas renoncer. C’était un grand danger pour eux, et même les plus grands ne l’ont pas toujours évité.


II

Tacite n’a dit nulle part de quelle manière il concevait l’histoire, si c’était tout à fait comme ses prédécesseurs, ou s’il avait des vues différentes. Il me semble pourtant qu’il en laisse entrevoir quelque chose dans les prologues qu’il a mis en tête de ses deux grands ouvrages. Quoique le sens n’en ait pas toujours paru très clair et qu’on ait discuté sur la façon d’entendre certains passages, il est hors de contestation qu’il s’y montre très sévère aux historiens de l’époque impériale et très favorable à ceux de la République. N’est-ce pas une façon de tracer d’avance son programme, et ne peut-on pas dire qu’en nous donnant les raisons qu’il a de blâmer les uns et d’approuver les autres, il annonce de quelque manière ce qu’il veut lui-même éviter et ce qu’il se propose de faire ?

Pour lui, la décadence des lettres romaines a commencé avec l’établissement de l’empire. « Depuis la bataille d’Actium, dit-il dans le prologue des Histoires, les grands génies ont disparu. » Cette phrase doit être, je crois, un peu librement interprétée. Si on la prenait à la lettre, il faudrait exclure Tite-Live de la liste des grands écrivains, puisqu’il n’a publié les premiers livres de son histoire que quelques années après la victoire d’Auguste. Ce n’est certainement pas ce que pensait Tacite, qui a fait ailleurs de Tite-Live un si grand éloge ; aussi, pour ne laisser aucun doute sur son opinion véritable, il a plus tard, dans le prologue