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De nos jours, beaucoup de bons esprits, préoccupés avant tout de l’exactitude, voudraient imposer à l’historien la rigueur des méthodes scientifiques, et lui conseillent volontiers d’imiter les procédés de Tillemont plutôt que ceux de Michelet. Il est certain pourtant qu’on ne fera jamais de l’histoire une science comme la physique ou la chimie. Même quand on la réduirait à n’être qu’une collection de faits, ce qui paraît à quelques personnes un moyen merveilleux de supprimer les causes d’arbitraire et d’erreur, ces faits ne ressemblent pas à ceux qu’un savant observe dans son laboratoire, et qu’il décrit comme il les voit ; ce ne sont pas les produits de forces aveugles, qui agissent toujours de la même manière, et qui, placées dans de certaines conditions, ne peuvent pas agir autrement. Ils proviennent d’un être mobile, changeant, irrégulier, qu’il faut avoir étudié en lui-même, et dans sa nature ; propre, pour comprendre la raison des choses qu’on lui attribue, et même pour en affirmer la réalité. Ainsi la connaissance de l’homme, l’étude des mœurs, des passions, des caractères sont nécessaires à l’histoire, ce qui en fait proprement un genre littéraire. D’ailleurs ces faits eux-mêmes, quand il s’agit du passé, nous ne pouvons pas les aborder directement, nous ne les saisissons qu’à travers un ou plusieurs intermédiaires. Ils n’existent pour nous que dans les récits de ceux qui en ont été les contemporains et les témoins, et ces récits ne sont pas toujours semblables. Très souvent ils se contredisent ; il est rare que les gens qui ont vu le même événement le racontent de la même manière, et que ceux qui ont vécu dans l’intimité du même personnage aient la même façon de le juger. Entre ces appréciations diverses, il faut bien que l’historien choisisse. Avec ces fragmens de vérité, qu’il recueille un peu partout, il doit reconstituer un ensemble. Il entre nécessairement dans ce travail une part de création personnelle, et ceux qui prétendent l’empêcher d’y mettre quelque chose de lui-même le forceraient à ne produire qu’une œuvre qui ressemblerait à des chroniques de couvent, comme on en faisait au moyen âge, ou à nos manuels du baccalauréat. J’ajoute que, quand nous demandons qu’on nous enseigne le passé, nous désirons apparemment qu’on nous le montre comme il était, c’est-à-dire vivant. Le souci même de la vérité, qu’on met au-dessus de tout, l’exige. Une table des matières, contenant les principaux faits, relatés à leur date, avec un renvoi aux dissertations savantes qui les ont élucidés, ne