Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obligations : ne quid falsi dicere audeat, ne quid veri non audeat. Dire la vérité, toute la vérité, sans faiblesse, sans réticence, voilà la règle suprême : avons-nous rien trouvé de mieux aujourd’hui ?

Mais pour dire la vérité, il faut la connaître, et ce n’est pas toujours facile. Il y a toute une science délicate, compliquée, de découvrir les documens qui la contiennent, de les choisir, de les apprécier, de les interpréter. Cette science, les anciens l’ont-ils comme et pratiquée ? En général, on en doute. Dans tous les cas, Cicéron n’en dit rien, ce qui semble bien prouver qu’elle ne leur paraissait pas aussi importante qu’à nous. Ils n’étaient pourtant pas étrangers à ce que nous appelons « la critique ; » Quintilien nous dit qu’on l’enseignait dans les écoles. Sous le nom de judicium, l’esprit critique était une des qualités que le grammairien cultivait chez ses élèves ; il les exerçait soit à corriger les textes corrompus, soit à rayer de la liste des ouvrages d’un auteur ceux qui ne lui appartenaient pas, « comme on chasse de la famille les enfans supposés ; » soit enfin à comparer les écrivains entre eux et à leur donner des rangs. Il est difficile d’admettre que la critique n’ait pas été appliquée à l’histoire, comme elle l’était à la grammaire. Le plus simple bon sens devait enseigner à un historien qu’il faut, avant tout, qu’il se rende compte des témoignages dont il se sert, et qu’il en apprécie la valeur. Nous avons la preuve que Tacite, pour ne parler que de lui, n’a pas négligé de le faire. Quand il s’agit d’un jugement à porter sur Sénèque, il nous dit qu’on ne peut pas entièrement se fier à ce qu’en raconte Fabius Rusticus, qui était son intime ami ; ailleurs, il laisse entendre que les ouvrages qui ont paru pendant que la dynastie Flavienne était au pouvoir lui sont suspects, lorsqu’il s’agit d’un personnage ou d’un événement de cette époque. On voit que, dans ces deux cas au moins, il a pris ses précautions pour être exactement informé et choisir des témoins dignes de sa confiance ; et certainement, il a dû le faire plus souvent qu’il ne le dit. Mais il est remarquable que, quand il l’a fait, il n’éprouve pas le besoin de le dire. S’il n’en dit rien, c’est évidemment qu’on ne tenait pas à le savoir. Le lecteur n’exigeait pas de l’historien qu’il citât ses sources et qu’il les discutât devant lui. Il le croyait facilement sur parole, et, si le récit lui paraissait vraisemblable, il était disposé à le regarder comme vrai. C’étaient là, il faut le reconnaître, des