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ACTE, court prendre un poignard et se frappe.
Regarde-moi, et apprends
Donc…
NERON.
Qu’as-tu fait ?
ACTE.
Reprends le poignard :
Je peux te dire par expérience, ô mon Néron,
Que cela ne fait pas mal…


M. Boïto n’a garde de reprendre de tels clichés, ni de mélanger ainsi des récits historiques dont les sources diffèrent tellement. L’histoire n’est pour lui qu’une force de suggestion. Nous avons vu que le thème qu’il lui a emprunté s’y trouve à peine indiqué. Toutes les fois qu’il y revient, il en tire des effets puissans et profonds, qui dessinent son héros avec une grande vigueur humaine.

Voici Néron dans l’Oppidum, pendant que la foule applaudit aux supplices. C’est le moment où Tigellin vient lui apprendre que Rome est en feu. Il ne répond qu’un mot : « Tais-toi ! » L’affreux spectacle se poursuit. Tigellin reprend son rapport : « — Rome est en danger. — Tais-toi ! » — Le peuple réclame la grande attraction, les Dircés, les vierges chrétiennes attachées nues aux cornes des taureaux. Et le César pense surtout à l’autre spectacle, plus effroyable encore, que lui prépare l’incendie. Le hasard lui donne ainsi plus qu’il n’eût jamais espéré. A peine les dernières victimes tombées, — Phanuel, Rubria, — nous le retrouvons devant ses courtisans ivres. Il ne déclame pas, comme le veut la tradition, des vers de circonstance sur la ruine d’Ilion : poursuivi par son tourment intérieur, par l’angoisse qu’il veut étourdir à tout prix et qu’il retrouve au fond des horreurs qu’il accumule, il joue l’Orestie. Il est Oreste, les Euménides l’entourent, il leur répond ; puis, tout à coup, oubliant le texte, il n’est plus que Néron, il joue au naturel l’atroce tragédie, il se défend contre la malédiction du chœur inexorable :


O mère atroce !
Euménide cruelle attachée à mon sceptre !…
… Elle voulait régner, cette impie…


Le cri du chœur : « Matricide ! » scande son plaidoyer désespéré, l’expression hachée de son désespoir. Le fantôme d’Agrippine se dresse