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n’avons pas sous les yeux une action régulière, qui se développe selon les lois habituelles du drame historique, mais un tableau saisissant et coloré du monde néronien, tracé par un poète qui s’est une fois inspiré du second Faust, et qui en a conservé le goût des figures irréelles, dont le sens profond demeure enveloppé de mystères. Il a voulu, d’abord, représenter le paganisme à l’agonie, souillé de superstitions grossières empruntées aux cultes de l’Orient, et de basses ambitions, de honteuses tricheries. De là, l’intervention de Simon le Magicien, sur qui compte Néron pour apaiser les mânes d’Agrippine, dont il vient en cachette, au premier acte, ensevelir les cendres[1]. Ce sombre personnage ne songe qu’à conquérir la richesse et la puissance en s’emparant de l’esprit de César, dont ses ruses exploitent les terreurs. Mais il est mal secondé : ses prêtres sont des grotesques, qui s’enivrent avec le vin des sacrifices ; sa complice, — une sorcière, charmeuse de serpens, qui doit apparaître aux yeux de Néron, tantôt comme une Erinnye, tantôt comme la mystérieuse déesse Astérie, — s’est éprise de lui. Voici qu’il vient l’adorer, dans un temple truqué tout exprès pour la scène préparée. D’abord, c’est une prière, — la prière de l’âme éperdue, qu’affolent les Furies :


Je t’adore. Je baise
Ton autel, pâle déesse tremblante,
Protectrice des morts ! Un jour, en Tauride,
Tu as promis la paix à un matricide ;
J’implore la même grâce ; comme Oreste,
Je n’ai pas tué sans motif ma mère.
Délivre-moi de son spectre…


Mais, pendant même qu’il implore le pardon de son crime, l’idée d’un autre crime s’éveille en lui. La tragique déesse l’épouvante et l’attire, et la terreur est un singulier piment au désir. Peu à peu, sa prière change de ton, devient une invocation d’amour farouche :


Ah ! descends ! descends
Sur le rêveur des prodigieux hymens !
Comme tombe une étoile détachée du ciel,
Descends vers moi, Séléné, Hécate, Astérie,
Errant Eon lunaire ! Magique déesse
Aux mille noms, descends ! et chacun de ces noms
Sera un nom d’amour !…
  1. facto per magos sacro evocare manes et exorare tentavit. Suétone 34. — On sait que certaines traditions mêlent Simon le Magicien à l’histoire des persécutions de Néron. V. l’Antéchrist, p. 161.