Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La botanique, si elle ne s’accompagne pas d’une image très précise, n’est plus, comme on l’a dit, que « l’art d’injurier les fleurs, en grec et en latin. » La lettre tue, mais le trait vivifie. Si donc, l’enfant manifeste le besoin d’imiter par des traits les formes qui frappent son esprit, il nous livre ainsi le secret de fixer ces formes et d’enrichir cet esprit. L’engager à reproduire ses notions par le dessin ; corriger ce que le dessin a de trop défectueux au point de vue du fait ; exiger qu’il ne reproduise pas l’idée de la chose, mais la chose même, c’est lui apprendre à voir, apprendre à regarder. Or, savoir regarder chaque chose dans la vie, non pas à travers le verre trouble d’une généralisation et à la lumière d’une idée préconçue, mais directement avec les yeux que Dieu nous a donnés et à la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, c’est peut-être bien la première loi pour apprendre à penser.

Et conserver cette juste image dans l’esprit en même temps que le mot, ne jamais évoquer l’un sans l’autre, apprendre à dessiner, en marge du texte qu’on écrit, la disposition des choses que le mot représente ; ne jamais écrire un nom de fleur sans en pouvoir tracer la figure, ni de ville sans en pouvoir établir le plan : la rivière qui la traverse, les ponts qui coupent cette rivière, le chemin de fer qui y accède, les forts qui la protègent, la cathédrale qui la bénit ; ne jamais écrire un nom historique sans pouvoir situer celui qui le porta, avec ses traits, son costume parmi les personnages et dans le décor du même temps, et enfin s’astreindre à suivre, jusque dans les métaphores, les images des choses qu’elles évoquent et à en surveiller des yeux, pour ainsi dire, la suite et l’agencement, c’est peut-être la première loi non plus seulement pour penser, mais pour écrire. Pas de mot sans idée, pas d’idée sans une forme ou au moins sans un ensemble de formes, dont on puisse évoquer clairement à volonté quelques-unes, tel pourrait être le plan pour former une tête selon le vœu de Montaigne, « plutôt bien faite que bien pleine. » Si, plus tard, il faut abstraire les idées essentielles et manier ces abstractions, la besogne ne s’en fera que plus vite et mieux. Car, alors, l’enfant sachant ce qu’il abstrait et de quoi il l’abstrait, saura ce dont il parle. Et les abstractions qu’il trouvera chez les philosophes ne le rebuteront pas plus qu’elles ne lui en imposeront, car il les entendra si elles veulent dire quelque chose, et, si elles ne veulent rien dire, il les jaugera.