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fait pour les enfans eux-mêmes, comme s’ils avaient jamais demandé ou éprouvé quelque plaisir à dormir dans une nef en bois de rose, parmi des figures de bronze, entre cinq cornes d’abondance, comme le duc de Bordeaux, ou à faire leur première dent sous une Renommée… Ces berceaux de princes sont des joujoux pour le peuple comme les petits princes eux-mêmes, petites idoles inconscientes dont il s’amuse un instant et qu’il brise ensuite cruellement, sans même avoir l’excuse de rechercher ce qu’elles contiennent, car il sait bien ce qu’est un dauphin pour en avoir vu si souvent naître, souffrir et mourir. Lorsqu’une ville fait construire un de ces superbes jouets, c’est bien assurément pour son propre plaisir à elle-même, et, lorsque la Ville de Paris les exhume de la nécropole de Carnavalet, comme elle vient de faire ces berceaux et ces tristes fanfreluches du Petit Reclus du Temple, ne ressemble-t-elle pas bien à un enfant turbulent et vaniteux qui tire d’une armoire les jouets précieux dont il s’est amusé jadis, et qu’il a, dans des momens de colère, brisés ?

La turbulence, en effet, l’agitation, l’instabilité, c’est la dernière caractéristique de l’enfant. C’est celle que les anciens portraitistes nous montraient le moins, préoccupés qu’ils étaient du décorum. Mais, si on ne la montre pas, si l’on pose des enfans comme des grandes personnes, si l’on peint les enfans « sages comme une image, » on se trompe ; on ne peint pas une sage image de l’enfant, sa nature étant la turbulence, l’expansion, le dérèglement. Etant dans l’explosion première de la vie, il est audacieux, et, contre tout ce qui gêne sa recherche, révolté. Ce n’est pas un indice de mauvais instinct : c’est une preuve de vie. Les mères, qui augurent bien du petit révolté et qui proclament avec orgueil qu’il a « le diable parmy le corps, » jugent instinctivement bien mieux que les pédagogues. Car un enfant sage est un enfant sans. vie : c’est le petit Dombey de Dickens. Obligé de développer son système musculaire et d’acquérir la maîtrise de ce système, il faut que l’enfant s’exerce en une foule de mouvemens. Ils nous paraissent inutiles, insupportables même aux plus déterminés amis de l’enfance. « J’ai vu un vieux Monsieur, raconte Delacroix, qui fut mené par un de ses amis déjeuner avec J. -J. Rousseau, rue Platrière… Ils sortirent ensemble aux Tuileries ; des enfans jouaient à la balle. « Voilà, disait Rousseau, comme je veux qu’on exerce Emile, » et choses semblables. Mais la balle d’un enfant vint heurter les jambes du philosophe,