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ciel. Les jours en s’écoulant augmentent la distance. Les causes premières lui paraissent plus obscures, la machine du monde plus compliquée, Dieu plus hautain, plus lointain. Il cesse d’y penser, de questionner sur ces choses, de s’y intéresser même. Toute philosophie perd son charme, toute poésie sa spontanéité. Il n’imagine plus rien. Il ne transforme plus les grains de sable en des trésors, ni le vent en un génie. Plus volontiers son esprit se tourne vers l’examen de ses semblables, de leurs défauts, de leurs ridicules. Toute son attention se tend à les saisir. Le petit métaphysicien devient un petit psychologue. L’enfant promu gamin a de l’esprit, de la moquerie : il n’a plus de réflexions métaphysiques, il ne fait plus de questions profondes. Du jour où il se moque de son prochain, c’est un homme. Son portrait ne peut plus figurer sur le toit de Bethléem, dans les nuées de l’Assomption. Il lit. Il est devenu savant, il sait ce que c’est qu’une machine à vapeur. Il sait dire des monologues, citer les poètes ; il fera semblant de s’élever à leur suite, dans des régions lyriques, mais regardez bien aux épaules : les petites ailes n’y sont plus…

Pendant qu’elles y sont encore, le peintre doit les faire voir. Beaucoup des gestes du bébé sont des gestes de poète : telle cette petite fille d’un an et onze mois « qui prenait dans ses mains les rayons du soleil et les mettait sur sa figure. » Souvent les mains cherchent quelque chose qu’elles ne peuvent pas trouver et montrent un objet qui n’existe pas ou qui n’existe que dans la petite imagination créatrice, comme chez le Master Hare de Reynolds. En montrant ces gestes, sans aucun rapport avec la réalité, le peintre, révèle, chez l’enfant le poète.

Aux caractéristiques de l’explorateur et du poète, viennent s’ajouter les caractéristiques de l’alchimiste. L’enfant ne se contente pas d’examiner les choses qui l’entourent. Il ne se contente pas d’imaginer les dieux lointains qui le gouvernent. Il veut, lui aussi, créer, fabriquer, transformer la matière. C’est pour cela qu’après avoir admiré un mécanisme, il est assez enclin à le mettre en pièces. Ses jeux sont redoutables. Mais ce n’est nullement un instinct de destruction, comme on le dit souvent, qui le pousse : c’est une idée de transformation, c’est le désir du « changement à vue, » c’est la curiosité de voir par quels États successifs et différens peut passer la matière, d’est une curiosité d’alchimiste. Si l’enfant pouvait se donner ce plaisir de