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utile à ce fameux romancier la collection de poupées qu’il mettait sur sa table pour figurer devant ses yeux, plus présens ou présens d’une manière plus objective, les personnages issus de son cerveau. Les poupées de l’enfant sont sœurs des héroïnes du poète.

En même temps, ses conceptions du monde sont de la même famille que les mythes anciens. Curieux des causes premières, il anthropomorphise tout : le vent, la mer, la mort, le soleil. Voyant l’homme fabriquer chaque chose, il n’a pas de peine à se figurer le fabricateur de la terre et des étoiles comme une personnalité : un Dieu. Mais il ne peut pas se le figurer très loin, très inaccessible, très dissemblable de nous. Il parle de Dieu avec une étrange familiarité. M. James Sully en cite un exemple dans la prière suivante d’une petite fille de sept ans dont le grand-père venait de mourir : « S’il te plaît, mon Dieu, puisque grand-papa est allé près de toi, prends bien soin de lui. Pense toujours, s’il te plaît, à fermer la porte, parce qu’il ne peut pas supporter les courans d’air… » Il cite encore un petit garçon de quatre ans et demi jouant avec des couteaux et auquel sa mère dit en manière d’avertissement : « Tu vas te couper les doigts, et, si tu les coupes, ils ne repousseront pas ; » et qui répondit après avoir réfléchi et d’un ton de profonde conviction : « Dieu les fera repousser ; il m’a fait, donc il peut bien me raccommoder. Si je me coupais les bouts des doigts, je dirais : « Bon Dieu, bon Dieu, viens faire ton ouvrage ! » et il me répondrait : « Très bien. » Ces naïvetés de l’enfant, ce sont ses ailes. C’est elles qui ont permis à Raphaël, au Pérugin, à Murillo, de lui attacher aux épaules les puissantes rémiges qui l’élèvent au-dessus de l’humanité. Ce n’est pas une imagination déréglée qui a entouré Dieu le Père de beaux bébés cravatés d’ailes, ou qui les a fait rêver sous la madone Sixtine et chanter sur le chaume de Bethléem. Les petits enfans, dans leurs recherches directes des causes premières, vivent au temps dont parle Thomas Hood :


When the Heavens were closer to us,
And the Gods were more familiar


Les cieux sont plus proches, puisqu’ils demandent, comme la chose la plus facile à se procurer, la lune. Dieu est plus familier, puisqu’ils s’adressent à lui dans les termes où ils parleraient à leur grand-papa. A mesure que le bébé grandit, il s’éloigne du