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joujoux aient jamais servi à des enfans ? Ils ne seraient pas là pour en porter témoignage ! Les enfans les auraient cassés pour voir ce qu’il y a dedans. S’ils existent encore, c’est que ceux pour qui on les fit les dédaignèrent. Lisez, dans le Journal tenu par Héroard, ce que Louis XIII enfant imaginait pour s’amuser : « Année 1607. Il va se jouer sur le tapis de pied, étendu parmi la chambre, feignant que ce fût la mer. » « Année 1605 : Il court en la galerie, va le long des lambris, feignant de cueillir des raisins qui y sont en peinture. » « Année 1610. Passe le temps à faire semblant de marier son nain Dumont à Marine, naine de la Reine, fait apporter un contrat, y écrit. » Et cependant le petit Louis XIII avait les plus beaux jouets du monde… Croit-on que ces salons en miniature, que ces chapelles, que ces rouets d’ivoire, que ces poupées articulées, que ces carrosses, que ces fourneaux de Caffieri et ces cuisinières de Saxe, tous ces falbalas, soient bien ce qui a diverti tant d’enfans ? Non. Ce que nous voyons là ne sont que des choses mortes. Ce qui les amusa, ce furent des choses vivantes et aujourd’hui passées : ce furent des rêves, les rêves qu’ils tirent en maniant ces choses ou peut-être d’autres choses plus humbles : des bouts de bois qu’ils habillèrent d’un lambeau d’étoile où ils virent un roi, des boîtes de carton qu’ils ornèrent d’une ficelle et dont ils firent un transcontinental, des rognures de chandelles où ils aperçurent des figurines subtiles que Saxe ou Sèvres n’ont jamais produites, — tous ces petits objets de leur vie ; familière que leur imagination promut à la dignité de princes, de fées, de héros dans un pays lointain, immense et enchanté…

Quant à ces somptueuses machines, croire qu’elles ont donné la joie aux enfans des princes qui les possédèrent, les exposer ici comme des signes de leur désir, c’est comme si l’on exposait, sous une vitrine, les constitutions écrites depuis 89, pour nous montrer ce qui a fait, pendant un siècle, le bonheur du peuple français ! C’est comme si l’on nous montrait ces mécanismes curieux et fragiles, savamment construits par les Vaucansons de la politique : la constitution de l’An III, la constitution de l’An VIII, la Charte… et si l’on nous disait : « Voilà ce dont nos pères se sont amusés ! Voilà ce qui a fait leur bonheur ! Voilà pourquoi ils ont fait des révolutions !… » Tout le monde répondrait : Non ! ce n’est pas de cela, de ces choses froides, savantes, artificielles, ennuyeuses, que s’enthousiasmèrent nos pères ! Ce