Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dispositions frappant les atteintes portées à la liberté du travail. — Eh bien ! dit l’Empereur, cherchez à améliorer la loi en ce sens. Je crois qu’en effet vous avez raison, et qu’en matière économique il est impossible de biaiser et de s’arrêter à des termes moyens. C’est là que la liberté est le meilleur remède[1]. » — Ainsi, l’Empereur et Morny s’accordaient à nous donner carte blanche.


III

Voici comment je conçus la loi que Morny m’avait engagé à préparer. Sans doute, l’idéal serait de ne permettre que les grèves justes et d’interdire celles qui ne le sont pas. Mais comment y parvenir ? Réussît-on à établir un tribunal assez impartial, assez éclairé, pour citer à sa barre toute coalition et lui demander de se justifier, comment pourrait-il apprécier les raisons des ouvriers, si ce n’est en les confrontant avec les patrons ? Ceux-ci alors seraient obligés de révéler les secrets de leurs affaires, d’offrir à la discussion leurs prix de revient, leurs bénéfices, d’étaler leurs bilans sur le marché, de raconter ce que les administrateurs mêmes des compagnies anonymes n’expliquent pas à leurs actionnaires : il n’y aurait plus ni secret commercial et industriel, ni initiative, ni sécurité. On ne conçoit pas de moyen terme entre interdire toutes les coalitions ou les permettre toutes, laissant à ceux qui les feront de discerner à leurs risques et périls celles qui sont justes et celles qui ne le sont pas. Je proposais de les permettre toutes, à la condition, toutefois, que personne ne fût contraint par la violence ou par la fraude d’y participer. Tolérer une coalition imposée de la sorte équivaudrait à autoriser le vol avec effraction et escalade, car le travail est la première des propriétés, d’autant plus sacrée et inviolable qu’elle est la seule du pauvre. Obliger malgré lui un ouvrier à ne pas travailler est encore plus criminel que forcer un coffre-fort. Ainsi la liberté ; des coalitions, surtout quand elle aboutit à la grève, loin d’être un progrès, serait la plus damnable des innovations, si elle n’avait pour contrepoids la répression énergique de toute atteinte, grave ou légère, à la liberté du travail.

Par cette raison, il me parut impossible d’abroger purement et simplement les articles punissant les coalitions. Sans doute, il

  1. Darimon, le Tiers-Parti, p. 125.