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Il faut que ce singulier personnage de Victor-Amédée, qui nous paraît à distance si peu attrayant, eût cependant quelque chose en lui par quoi il sut se faire aimer, car, sans parler de la comtesse de Verrue, de la comtesse de Saint-Sébastien, et de bien d’autres encore, il fut chéri passionnément de sa femme, la pauvre Duchesse Anne, et fidèlement de ses deux filles, la Duchesse de Bourgogne et la reine d’Espagne, que (lui-même en convenait) il avait singulièrement négligées durant leur enfance, qu’il avait mariées, l’une à douze ans, l’autre à treize ans et demi, et qu’il n’avait jamais revues depuis. Cette persistance de tendresse liliale montre qu’il n’est pas toujours exact de dire, comme l’a soupiré depuis longtemps la poésie, comme le théâtre s’efforce de le démontrer, que :


L’amitié, comme les fleuves,
Descend et ne remonte pas.


Il serait hors de notre sujet de parler des relations de Victor-Amédée avec son autre fille, cette sœur cadette de la Duchesse de Bourgogne, non moins séduisante qu’elle, mais plus virile, plus capable, et qui, malgré sa jeunesse, sut se montrer à la hauteur des événemens presque tragiques auxquels elle fut mêlée. Mais ce n’est point cependant trop nous en écarter que de rapprocher la lettre citée par nous tout à l’heure d’une autre lettre, adressée, presque à la même date, par la reine Marie-Louise à ce même Victor-Amédée[1]. Cette lettre, qui est du 31 janvier 1708, n’est pas moins tendre et moins suppliante :


De Madrid, le 31 janvier 1708.

« Pourquoy croyez-vous, mon cher père, que je n’aye plus d’amitié pour vous et que même je vous aye oublié, comme vous m’avez fait mander il y a quelque temps par ma mère ? J’en suis très offensée, étant aussi éloignée que je le suis d’une pareille chose, car je puis vous assurer que je vous ay toujours aimé tendrement. Il me semble que c’est bien plutôt à moi à vous

  1. Cette lettre, publiée pour la première fois par le comte Sclopis dans son Studio storico sulla Regina di Spagna, a été reproduite en entier par Luisa Sarredo dans l’ouvrage intitulé : La regina Anna di Savoia (t. II, p. 316) et en partie par le Père Baudrillart dans son Philippe V et la Cour de France, l. I, p. 309.