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prononcées avec un air touchant, firent tout l’effet qu’elle désiroit. M. de La Feuillade partit, mit le siège devant Thurin, attaqua romanesque nient la citadelle de Thurin (ayant esté résolu de commencer par le siège de la citadelle), ne la prit point, fut au contraire forcé de lever le siège, pendant lequel il disoit en lui-même : « Si l’on réussit, ce sera double gloire, et ce ne sera pas manque d’avoir fait tout ce qu’il falloit pour ne pas réussir. » Il avoit pris la précaution, avant de partir, de parler à M. de Chamillart, son beau-père, et lui avoit très bien montré combien il seroit désagréable à Mme la Duchesse de Bourgogne qu’on prist Thurin pour assurer le succès de l’expédition. Ce fut là les seuls ressorts qui servirent la tendresse de Mme la Duchesse de Bourgogne pour son père et sa vanité pour ne le pas voir rabaissé par la France. »

La scène est joliment racontée, mais le propos a-t-il été tenu, et La Feuillade, qui, par-dessus le marché, était un fat, n’a-t-il pas un peu arrangé les choses ? Remarquons, en tout cas, qu’il ne put l’être au moment où le place Mlle d’Aumale. En effet, La Feuillade ne partit point pour l’expédition de Turin. Il était à La tête de l’armée de Piémont depuis le mois de février de l’année précédente. Ce fut au cours de cette année 1705 que le siège de Turin fut décidé en principe, puis différé. De tout l’hiver et de tout le printemps de 1706, La Feuillade n’apparut point à la Cour. La Duchesse de Bourgogne n’aurait donc pu lui faire au moment de son départ qu’une recommandation générale, et La Feuillade, qui devait au contraire se montrer ardent partisan du siège de Turin, n’a certainement pas entretenu son beau-père des inconvéniens de ce siège. Il y aurait loin, en tout cas, on en conviendra, de cette discrète prière à des avertissemens utiles qu’elle aurait fait parvenir à Victor-Amédée. Ajoutons que de cette recommandation, si elle lui fut adressée, La Feuillade n’aurait tenu aucun compte. En effet, une des fautes qui lui furent le plus justement reprochées pendant le siège de Turin, ce fut de ne pas avoir employé toutes ses forces à investir complètement la ville, et d’avoir à plusieurs reprises abandonné ses lignes de circonvallation pour s’attacher à la poursuite du Duc de Savoie qui tenait campagne aux environs de Turin avec une petite armée, dans l’espoir chimérique de le faire prisonnier. « Il étoit, dit Saint-Simon, follement buté à la capture du Duc de Savoie et n’en vouloit pas laisser l’honneur à un