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cette année fut particulièrement calamiteuse pour la France, déjà durement éprouvée en 1704 par le désastre de Tallart à Hochstaedt. Le printemps de cette année vit la honteuse défaite de Villeroy à Ramillies. Tessé échoua devant Barcelone, et le trône de Philippe V, fugitif dans ses propres États, pressé par l’archiduc Charles, obligé de rentrer en Espagne par la France, parut un moment singulièrement ébranlé. Il y avait déjà dans ces malheurs de quoi contrister singulièrement la Duchesse de Bourgogne, qui portait un intérêt passionné à la destinée de sa sœur, réduite à quitter Madrid pour se réfugier à Burgos. Mais ce chagrin n’était rien auprès de celui que devait lui causer la résolution prise par le Roi d’entreprendre le siège de Turin.

Son pays natal était depuis trois ans foulé aux pieds par l’armée française. Les principales villes de la Savoie et du Piémont étaient déjà tombées en leur pouvoir. Victor-Amédée venait d’être vaincu par Vendôme à Calcinato. La prise de sa capitale, celle de sa famille et peut-être de sa propre personne, auraient consommé sa ruine. Si bonne Française qu’elle fût devenue, suivant sa propre expression, la Duchesse de Bourgogne ne pouvait voir sans douleur accabler ainsi une famille qui lui était chère et un pays qui était le sien. Ces sentimens si naturels, dont elle ne se cachait nullement, qu’elle épanchait, ainsi que nous l’avons vu, dans le sein de Mme de Maintenon, n’en donnèrent pas moins naissance à une légende calomnieuse qui, d’abord murmurée à voix basse, grossit peu à peu après sa mort, que les historiens étrangers ont recueillie sans y ajouter foi, mais que nos historiens nationaux ou soi-disant tels se sont fait une joie d’accréditer. Ecoutons, en effet, Michelet : « Duclos, très informé, dit que la princesse nous trahissait, informait de tout le Duc de Savoie. On a peine à le croire, mais il est bien probable que, dans une si pénible occasion (le siège de Turin) où il s’agissait de sa vie, elle l’avertit. » Nous renvoyons à sa date, c’est-à-dire à la mort de la Duchesse de Bourgogne, de démontrer l’absurdité de cette histoire, inventée par Duclos, de pièces découvertes dans les papiers de la Duchesse de Bourgogne et qui auraient révélé sa trahison. Mais il nous faut, dès à présent, dénoncer la frivolité de cette autre légende d’avertissemens utiles que la Duchesse de Bourgogne aurait fait parvenir à son père et qui auraient aidé Victor-Amédée à sauver sa capitale. Cette légende a eu cours dès le XVIIIe siècle. D’après Voltaire, qui