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s’enfonçait de plus en plus dans une piété que Mme de Maintenon elle-même qualifie de sauvage, prenant de moins en moins part aux plaisirs de la Cour, et faisant, par son attitude, la leçon à son grand-père lui-même. Voici comme, précisément à cette époque, s’exprime sur son compte l’auteur anonyme des Nouveaux Caractères de la Famille Royale[1] : « Il paroît d’un air grave, sombre, atrabilaire, d’un tempérament violent, et d’un vif à n’être jamais content de ceux qui l’approchent. Sa piété l’emporte, et souvent très mal à propos. Il passe pour avoir de l’esprit. Il est à craindre que la pratique ne l’emporte chez lui sur la spéculation. Le temps expliquera ce mystère, et c’est ce qui nous fait suspendre notre pinceau. »

C’était aussi le temps, où, suivant le même judicieux témoignage de Mme de Maintenon, la passion furieuse qu’il ressentait pour sa femme le rendait insupportable aux autres et peut-être à elle-même. Fénelon, de loin, s’inquiétait de ces excès, et avec son esprit toujours si judicieux dans la direction des âmes, il faisait parvenir à son ancien élève, par l’intermédiaire de Beauvillier, des conseils dont la mesure contraste avec ce qu’il y avait parfois en lui-même d’un peu ardent et excessif. De même qu’il lui conseillait, lorsqu’il était à la tête de l’armée, de « donner des ordres généraux pour réprimer les désordres de mœurs, mais de ne point descendre dans les détails pour n’être point accusé de tomber par scrupule dans la rigidité et la minutie, » de même il s’efforçait discrètement, autant qu’un directeur le pouvait faire, de tempérer les excès de sa piété, le détournant « des pratiques extérieures qui ne soûl pas d’une absolue nécessité, » combattant ses habitudes de sauvagerie un peu morose, et lui marquant l’attitude qu’il devait prendre vis-à-vis de son grand-père et surtout de son père, que sa dévotion rebutait. Mais c’est dans les conseils qu’il lui donne sur sa manière d’être avec la. Duchesse de Bourgogne qu’il se montre admirable de finesse et de sagacité. Le Duc de Bourgogne aurait voulu que la Duchesse observât le carême comme lui-même, et qu’elle se privât pendant tout ce temps de tous les spectacles. « Je crois, écrivait à ce propos Fénelon, que M. le Duc de Bourgogne ne devrait pas gêner Madame la Duchesse de Bourgogne. Qu’il se contente de laisser

  1. Nouveaux caractères de la Famille Royale, des ministres d’État et des principales personnes de la Cour de France. A Villefranche, chez Paul Pinceau, 1703, p. 22.