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incertitudes et les difficultés de l’entreprise et le danger d’exposer l’héritier du trône à un échec. Le Duc de Bourgogne, soit charité, soit défaut de clairvoyance, ne lui garda pas rancune de ce mauvais vouloir, car il lui écrivait : « Je suis très fâché que le peu de troupes que vous avez et la situation des affaires s’opposent à me retrouver avec vous à ce siège dont vous allez avoir l’honneur tout entier. Vous sçavez peut-estre déjà qu’il n’y a pas de ma fautte si je ne suis pas en chemin pour m’y rendre, mais, après une proposition réitérée et appuyée des meilleures raisons qui m’avoient passé par la teste, je ne peux que m’en tenir à la volonté du Roy et espérer que cecy me vaudra quelque chose de meilleur pour l’année prochaine. Vous sçavez de quoy je veux parler[1]. »

Quelle que fût sa soumission à la volonté du Roi, il dut cependant lui être pénible de n’avoir pas assisté à la victoire que Tallart remporta à Spire sur les Impériaux commandés par le prince de Hesse, et à la prise de Landau, qui fut la conséquence de cette victoire. Mais il en prenait son parti avec la résignation dont il était coutumier toutes les fois qu’il croyait entrevoir dans quelque événement la volonté de Dieu et celle du Roi, qui ne faisaient qu’une à ses yeux, ou encore le bien de l’Etat. « Le Duc de Bourgogne, dit Mlle d’Aumale dans ses Souvenirs inédits, à la nouvelle de la prise de Landau, marqua une grande affliction de n’avoir pas esté à ce siège et à la bataille ; mais, à part cela, il dit que ce qui le consoloit, c’estoit que, s’il eût esté dans l’armée, M. de Tallart auroit peut-estre balancé à donner la bataille ; qu’ainsi il croyoit qu’il valloit mieux pour le bien de l’Etat qu’il n’y eût point esté, et que l’intérêt de sa gloire devoit céder à la gloire du Roy et à l’honneur de la nation. »

Il est assez difficile de démêler quels avaient été les motifs du Roi pour ne pas obtempérer au désir légitime exprimé par son petit-fils et pour lui refuser ce surcroît de gloire. Peut-être (et nous inclinons à le penser d’après les termes mêmes de la réponse qu’il lui avait faite,[2], y eut-il quelque mauvaise humeur d’une demande de congé qu’il avait jugée un peu prématurée.

  1. Dépôt de la Guerre, 1662. Le Duc de Bourgogne à Tallart, 2 oct. 1703.
  2. « Pour ce qui regarde la personne du Duc de Bourgogne, je veux bien qu’il quitte l’armée après que toutes les dispositions nécessaires seront faites et dans le temps que vous estimerés que sa présence ne sera plus nécessaire. J’y souscris volontiers à ces conditions. » Dépôt de la Guerre, 1662. Le Roi à Tallart, 6 sept. 1703. Pelet, Mémoires militaires, t. III, p. 464.