Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Humblement, Monsieur, qui reste secrète. Le Père Martineau, confesseur de Mgr le Duc de Bourgogne, qui a un crédit infini auprès de luy, pour luy marquer son zèle, vouloit, à ce qu’il m’est revenu, l’accompagner à la tranchée ! Je n’ay pas cru que cet appareil-là convînt à Mgr le Duc de Bourgogne et, pour le prévenir sans avoir à en parler sérieusement, je me mis à plaisanter M. l’abbé de Pomponne sur ce qu’on disoit qu’il vouloit aller à la tranchée, et j’adjoutai, la conversation étant devant Mgr le Duc de Bourgogne, ce qu’il falloit pour tourner cela en ridicule. Mon discours est revenu au Père confesseur, qui se l’est approprié. Soyez, je vous en supplie, Monsieur, en garde pour moy contre les méchans offices secrets. Mais en vérité ? , quand j’en devrois essuyer, j’aime mieux quasy en courir le risque que de laisser aller Mgr le Duc de Bourgogne à la tranchée avec un confesseur à ses côtés[1]. »

Treize jours après l’ouverture de la tranchée, la place de Brisach, laissée sans secours et mollement défendue, battait la chamade. Le Duc de Bourgogne accorda aux défenseurs une capitulation honorable et invita le soir à souper avec lui le commandant de la place, le comte de Marsigli, qui était un Italien. C’était lui faire peut-être un peu plus d’honneur qu’il ne méritait, car sa conduite fut jugée sévèrement par l’empereur Léopold. Un procès lui fut intenté ainsi qu’au gouverneur, le comte d’Arco. Le premier vit son épée cassée par la main du bourreau, et le second eut la tête tranchée. Les vaincus étaient donc pour quelque chose dans cette facile victoire ; mais la rapidité avec laquelle une place réputée très forte avait été prise n’en faisait pas moins impression en France et même en Europe. L’année précédente, les Allemands avaient mis quatre mois à prendre Landau aux Français. Les Français avaient pris Brisach aux Allemands en treize jours, et ce contraste inspirait les poètes de Cour. Après avoir raillé la lenteur du siège de Landau, l’un d’eux s’écriait :


Prendre Brisach en treize jours,
C’est une plus belle besogne.
Ces exploits vigoureux et courts
Sont du goût du Duc de Bourgogne.
Convenez, Allemands jaloux,
Que nous attaquons mieux que vous[2].
  1. Dépôt de la Guerre, 1665. Tallart à Chamillart, 31 août 1703.
  2. Bibliothèque nationale, manuscrits français, 12693. Le Chansonnier, p. 83.