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Vauban qui se chargea de la reprendre. Avec son ordinaire grandeur d’âme, il avait accepté, bien qu’il fût, comme maréchal, de la même promotion que Tallart, de ne point se mêler du détail de l’armée et de ne s’occuper que de ce qui concernait la tranchée. « Il faut, monsieur le Maréchal, lui avait dit le Duc de Bourgogne en plaisantant, que vous perdiez nécessairement votre honneur devant cette place. Ou nous la prendrons, et l’on dira que vous l’avez mal fortifiée, ou nous échouerons dans notre siège et on dira que vous m’avez mal secondé. » « On sait assez, Monseigneur, aurait répondu Vauban, comment j’ai fortifié Brisach et mon honneur est à couvert de ce côté-là, mais on ignore si vous savez prendre les villes que j’ai fortifiées, et c’est de quoi j’espère que vous convaincrez bientôt le public[1]. »

Le Duc de Bourgogne fit bien à ce siège. Il avait voulu assister à l’ouverture de la tranchée, et la première fascine fut posée sous ses yeux. « Tous les jours, il visitoit, dit Proyart, les travailleurs ; il se trouvoit sur le passage des troupes qui montoient et descendoient la tranchée ; il consoloit par des gratifications les soldats blessés qu’il rencontroit ; il alloit les visiter dans les hôpitaux et il recommandoit publiquement qu’on prît d’eux les plus grands soins[2]. » En un mot, il remplissait tous les devoirs d’un bon chef d’armée et se faisait aimer des soldats et des officiers. Il maintenait en même temps parmi les troupes une exacte discipline. Un espion ayant été découvert dans le camp, il lui fit cependant grâce, et, comme on voulait le détourner de cet acte de clémence en lui disant que cet espion était huguenot : « C’est à cause de cela, répondit-il. Il a besoin de temps pour se convertir. » Quant aux opérations du siège, il en laissait naturellement la direction à Vauban ; mais il payait de sa personne avec sang-froid et se mollirait de belle humeur au feu comme il l’avait fait l’année précédente devant Nimègue et à la canonnade d’Hechtel. Souvent il visitait la tranchée la nuit, et il advint plusieurs fois que des soldats furent tués sous ses yeux. Même chose pouvait lui arriver. Aussi eut-on quelque peine à empêcher son confesseur de l’accompagner pendant ces visites périlleuses. « Je ne saurais m’empescher, écrivait Tallart à Chamillart, d’avoir l’honneur de vous rendre compte d’une chose que je vous supplie

  1. Proyart, Vie du Dauphin, père de Louis XV, t. I, p. 155.
  2. Ibid., p. 156 et passim.