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II

Plus juste envers le Duc de Bourgogne qu’elle ne devait l’être quelques années plus tard, l’opinion publique ne s’en prit point à lui de ces résultats médiocres. Toutes les rumeurs venues du camp lui avaient été favorables. On lui savait gré de sa bonne tenue et de sa belle humeur au feu, de l’affabilité qu’il avait montrée dans ses rapports avec les officiers généraux, des soins qu’il prenait du bien-être des troupes et on ne le rendait point responsable de l’échec final. La flatterie même s’en mêlait, et le graveur Picault profitait de la circonstance pour lui dédier sa planche de la sixième bataille d’Alexandre. Tous ceux qui l’aimaient étaient dans la joie. « Toute l’armée en est charmée, écrivait la duchesse de Beauvillier à Louville. Il est aimé et estimé généralement de tout le monde. C’est un changement à ne pas le reconnaître… Je ne sais comment M. de Beauvillier peut être malade avec cela. Il en a une joie que je ne puis exprimer[1]. » Mais le plus heureux était encore Fénelon. « Ce que j’ai appris par des voies non suspectes, écrivait-il au duc de Chevreuse, marque que M. le Duc de Bourgogne fait au-delà de tout ce qu’on auroit pu espérer, et qu’il est soutenu contre ses défauts naturels par l’esprit de piété. Au nom de Dieu, tachez de faire qu’il soutienne ces commencemens merveilleux[2]. » Dans une lettre à Beauvillier, il donnait à l’ancien gouverneur de judicieux conseils sur la conduite à tenir vis-à-vis d’un élève émancipé et sur la manière de conserver influence sur lui. « Ne gardez aucune autorité à contre-temps. Ne le gênez point. Ne lui faites point de morale importune. Dites-lui simplement, courtement, et de la manière la plus douce, les vérités qu’il voudra savoir. » Et, prévoyant déjà les nuages qui pourraient s’élever un jour entre les deux époux, il ajoutait : « Tenez-vous à portée de pouvoir être un lien de concorde entre Mme la Duchesse de Bourgogne et lui, si la Providence y dispose les choses. »

Il prévoyait également, avec une perspicacité singulière, les retours d’opinion dont le Duc de Bourgogne pourrait avoir un jour à souffrir, mais ce qu’il craignait pour l’instant, c’était que

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. X, p. 193, note 5.
  2. Œuvres de Fénelon, édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 237. Lettre au duc de Chevreuse.