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de l’appareil, si l’on s’élève à la rampe supérieure et que, tournant, sans vertige, au haut de l’immense ceinture aérienne, on embrasse du regard ce vallon fait de mains d’homme, si, d’étage en étage et de gradin en gradin, l’œil descend et remonte aux parois de cette immense cuve dont les bords se perdent dans le ciel, alors on peut s’éveiller à l’idée de ce qu’a fait de grand l’humanité.

J’ai vu, dans cette enceinte, douze mille personnes réunies pour assister à des courses de taureaux. Le bétail sanglant se précipitait, aveuglé et affolé, dans le cirque ; les hommes, tout pailletés de soie et d’or, captaient le public par des jeux balancés où il y avait quelque péril ; le matador retardait l’émotion, avant de frapper avec élégance la bête déjà à demi morte de colère et d’épuisement ; la foule accompagnait, de ses gestes et de ses cris, le moindre geste et le moindre cri parti de l’arène. Mais le vrai spectacle était cette foule même. Rien que par sa présence, elle évoquait l’idée du passé qui lui avait laissé, avec le monument, le goût de ces jeux où le sang coule.

Les douze mille spectateurs n’emplissaient pas le vaste cirque. Il restait, tout en haut, dessinés en plein soleil, plusieurs degrés de pierre, vidés et blancs, et on eût dit, parmi la foule noire, des rangées de sénateurs romains. Dans le creux du ciel, les hirondelles volaient circulairement en jetant de petits cris. L’air était brûlant. Le ciel bleu éclatait. Le soleil le traversait de flèches apolliniennes. Et la foule entière, à l’unisson de ces aspects immuables, de ce ciel, de ces oiseaux, de ces ruines, se taisait parfois, et parfois rugissait, comme si l’âme de l’histoire vécût en elle et se passionnât encore aux spectacles qui avaient soulevé les grandes âmes des aïeux.

Nîmes n’était qu’une ville de province ; cependant, les Ro mains prirent un soin particulier de l’orner. Ils y construisirent, outre l’amphithéâtre, un théâtre, une basilique, des portes triomphales, et le monument élégant qu’on appelle, aujourd’hui, le temple de Diane ; ils captèrent les eaux des sources et les firent couler dans cette gracieuse « nymphée », qui sert encore d’ornement principal à la « promenade de la Fontaine. » Partout où les Romains se sont établis, les eaux sont belles. Ici, elles sont mystérieuses et divines. Elles s’échappent, en murmurant, de la colline, sans laisser deviner le secret de leur origine. Elles apparaissent, et s’aplanissent soudain en une nappe fraîche et claire. Un bassin et des canaux, refaits sur les fondations