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d’intérêt que pour les philosophes. Encore y retrouve-t-on les mêmes idées qu’on trouve dans les écrits théoriques de Kant, et exprimées dans la même langue : la langue la plus « hérissée » et la plus « dure » qui soit, pour reprendre de nouveau les mots de Michelet. Tout au plus l’ensemble de ces lettres achève-t-il de nous démontrer ce qu’a de profondément ridicule la célèbre fantaisie de Heine, suivant laquelle Kant, après avoir d’abord supprimé le devoir et Dieu pour satisfaire aux exigences de sa propre raison, se serait ensuite résigné à les rétablir pour contenter les préjugés de son valet de chambre. La vérité est que, dès le premier jour, les postulats de la raison pratique ont été le centre, la raison d’être essentielle du système de Kant. La vérité est que ce prétendu athée est resté, toute sa vie, à sa façon protestante, philosophique, et professorale, un chrétien, préoccupé d’assurer aux doctrines de l’Évangile la base rationnelle dont il ne concevait point qu’elles pussent se passer. Le 28 avril 1775, répondant à Lavater, qui l’avait consulté sur des questions religieuses, il écrivait que, , pour lui, la morale évangélique était le fondement de la religion. « J’admets, disait-il, que, au temps du Christ, des miracles et révélations aient été nécessaires pour imposer cette pure religion et pour la répandre. Le christianisme avait alors besoin d’argumens ad hominem, que les hommes de ce temps estimaient plus que nous. Mais, quand cette religion, — la seule où se trouve le vrai salut de l’homme, — a été assez répandue et assez solide pour se tenir debout par ses propres forces, les échafaudages employés jadis à la soutenir sont, du même coup devenus inutiles. Je respecte fort les récits des apôtres et des évangélistes, et j’ai pleine confiance dans les moyens de salut dont ils me fournissent la nouvelle historique... Mais, au-dessus d’eux, je place ce que j’appelle la foi morale, c’est-à-dire la confiance de l’âme dans l’aide de Dieu. Or, j’estime que, de la justesse et de la nécessité de cette foi morale, chacun peut s’assurer par soi-même, sans avoir besoin de preuves historiques pour s’en convaincre pleinement. » Et, vingt ans plus tard, lorsque le gouvernement prussien lui reproche d’avoir « déprécié et rabaissé, » dans ses écrits, « plusieurs dogmes des livres saints et du christianisme, » c’est avec une indignation presque éloquente à force de sincérité que le vieillard affirme avoir toujours, au contraire, travaillé au profit du dogme chrétien. « J’ai assez prouvé mon attachement et mon respect pour le christianisme, dit-il, en proclamant la Bible comme la meilleure loi d’une religion vraiment morale ; et, sans me permettre jamais le moindre blâme à l’égard de ses dogmes purement théoriques, j’ai