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REVUES ÉTRANGÈRES

QUELQUES ÉPISODES DE LA VIE DE KANT


Kant’s gesammelte Schriften, nouvelle édition, publiée par l’Académie des Sciences de Berlin, tomes X et XI : Briefwechsel, 2 vol. in-8o ; Berlin, 1901.


« Au fond des mers du Nord, il y avait alors (en 1789) une bizarre et puissante créature, un homme, non, un système, une scolastique vivante, hérissée, dure, un roc, un écueil taillé à pointe de diamant dans le granit de la Baltique. Toute philosophie avait touché là, s’était brisée là. Et lui, immuable. Nulle prise au monde extérieur. On rappelait Emmanuel Kant ; lui, il s’appelait Critique. Soixante ans durant, cet être tout à fait abstrait, sans rapport humain, sortait juste à la même heure, et, sans parler à personne, accomplissait, pendant un nombre donné de minutes, précisément le même tour, comme on voit aux vieilles horloges des villes l’homme de fer sortir, battre l’heure, et puis rentrer. Chose étrange, les habitans de Kœnigsberg virent (ce fut pour eux un signe des plus grands événemens) cette planète se déranger, quitter sa route séculaire ; on le suivit, on le vit marcher vers l’ouest, vers la porte par laquelle venait le courrier de France. » Qui ne connaît ces lignes magnifiques de Michelet ? Qui n’a tiré d’elles, bien plus que de tous les ouvrages des philosophes, l’image du « système » vivant que fut, en effet, l’auteur de la Critique de la Raison pure et de la Métaphysique des Mœurs ? Or le courrier de l’ouest, quelque temps après, apporta à cet « homme de fer » une lettre qui, peut-être, ne le troubla pas moins qu’avait fait, en 1789, la nouvelle de