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maîtresse de maison, la mère chargée d’élever les enfans tandis que la subsistance est fournie par le labeur du père. Notre société se transforme ; de ses changemens si rapides, de ses bouleversemens si profonds, on nous annonce qu’il sortira, avant qu’il soit longtemps, un monde nouveau. Il se peut que, dans ce monde encore en formation, le rôle de la femme doive être assez différent de ce qu’il a été pendant tant de siècles. Donc on commence à appliquer un système d’éducation féminine qui est en effet très nouveau, puisque, calqué exactement sur celui de l’éducation masculine, il vise à faire de la femme un être indépendant. Je n’ai pas ici à en discuter la valeur ; au surplus, il est à l’essai : c’est une expérience qu’on est en train de faire. Mais ce qu’il faut éviter soigneusement c’est de condamner, au nom des idées qui prévalent aujourd’hui en matière d’éducation féminine, celles qui peut-être ont fait leur temps, mais qui, à coup sûr, ont fait leurs preuves. Une éducation se juge par ses fruits. Celle que nous venons de décrire est appréciée par certains penseurs avec une dédaigneuse sévérité. Pourtant les femmes qui l’avaient reçue n’ont manqué ni d’esprit, ni de vertu, ni de grâce, ni de courage. Elles ont donné chez nous à la vie de salon un éclat incomparable et à l’intimité de notre foyer une telle douceur que, partout où nous allons, nous en emportons le regret nostalgique. Les hommes élevés sur leurs genoux et à qui elles avaient soufflé leur âme n’ont manqué ni de cette énergie qu’on tâche aujourd’hui de nous rapprendre par raison démonstrative, ni de ces qualités d’initiative dont alors on n’avait nul besoin d’aller chercher l’exemple hors de chez nous, ni de cet esprit d’entreprise qui nous poussait sur toutes les routes du monde, ni de cette hardiesse de pensée qui assura longtemps à la France l’hégémonie intellectuelle. Nous aurions tort, en vérité, de rougir de telles aïeules : ce serait sottise autant qu’ingratitude. C’est ce que, plus que d’autres, les promoteurs de l’éducation nouvelle de la femme sont tenus de ne pas méconnaître. Leur très noble et très haute ambition doit être de former, par des méthodes peut-être différentes et mieux appropriées au changement des temps, des femmes qui soient dignes de celles que nous devions à l’ancienne éducation.


RENE DOUMIC.