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leçon de choses n’est tout à fait elle-même qu’à condition de tomber dans la niaiserie. À ce point de vue encore, les leçons de choses que donne Mme de Genlis n’ont rien à envier aux nôtres. Cette institutrice impitoyable a la manie de tout rendre instructif, depuis les joujoux jusqu’aux meubles. Sur la tapisserie de la chambre des princesses elle a fait représenter les bustes des sept rois de Rome et des empereurs jusqu’à Constantin le Grand : deux grands paravens représentent les rois de France ; les écrans montés et les écrans de mains enseignent la mythologie. Il y a des cartes de géographie aux murs de l’escalier et on a eu soin de mettre les cartes du Midi dans le bas et celles du Nord dans le haut. N’oublions pas la lanterne magique historique ! Mme de Genlis découvre-t-elle dans son entourage un Polonais qui peint agréablement à la gouache ? aussitôt elle imagine de lui faire peindre sur verre l’histoire sainte, l’histoire romaine, celle de la Chine et du Japon. Et voilà déjà toutes les beautés de l’enseignement par l’image !

Le programme d’instruction de Mme de Genlis a déjà un caractère encyclopédique. elle remarque justement que tout individu bien organisé est doué d’une disposition, d’une aptitude particulière à une science ou un talent quelconque : on ne parvient à connaître cette disposition qu’en formant un plan d’études très étendu et varié. Elle y fait entrer, beaucoup plus qu’on ne faisait avant elle, des connaissances pratiques et usuelles : par exemple les langues vivantes, qu’elle s’avise de faire apprendre par l’usage. Ses élèves se promenaient en allemand, dînaient en anglais, soupaient en italien. Suivant les leçons de l’Emile elle leur fait apprendre un métier manuel : on a un tour ; les enfans et leur institutrice tournent à l’envi. C’est peu d’un métier pour contenter la soif d’apprendre qui enfièvre Mme de Genlis, il lui en faut vingt : elle fait de la gainerie et de la vannerie : elle fait des lacets, des rubans, de la gaze, du cartonnage, des plans en relief, des fleurs artificielles, des grillages de bibliothèque en laiton, du papier marbré, la dorure sur bois, des perruques et autres ouvrages en cheveux ; la menuiserie est laissée aux garçons. Restent les exercices physiques. Ici encore Mme de Genlis ne se tient pas d’appliquer sa faculté inventive. Elle invente la gymnastique à l’usage de ses élèves et leur fait exécuter des exercices inédits de poulies et de hottes : elle les fait coucher sur des lits de bois et marcher avec des semelles de plomb. Certes l’éducation donnée par Mme de Genlis à des enfans de prince est une éducation exceptionnelle, et le programme ne s’en applique pas exclusivement à l’éducation des filles. Mais