Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’était, l’an passé, en tête d’un livre de M. Léopold Lacour, que nous voyions flamboyer ce titre : Les origines du féminisme contemporain ; le livre d’ailleurs contenait tout simplement des monographies consacrées à trois dames connues pour avoir, aux jours les plus tragiques de la Révolution, péroré dans les clubs, paradé dans les rues, excité au meurtre et fait couler le sang. Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt et Rose Lacombe, telles sont les héroïnes dont l’historien avait tenté de s’instituer le biographe. Il ne les flattait pas outre mesure. Il traitait Olympe de Gouges de « toquée, » de « gâcheuse » et d’ « agitée. » Il nous montrait Théroigne de Méricourt finissant à la Salpêtrière, après avoir été de tout temps marquée pour la folie. Il rappelait comment Rose Lacombe, pour prix de ses fantaisies, fut fouettée de la main des poissardes ainsi que l’avait été Théroigne. Il faisait bien voir que, s’il y a dans la destinée de ces personnes célèbres quelques différences ou nuances, en tout cas elles se ressemblent par l’espèce de leurs mœurs, ayant été toutes trois pareillement des filles… Mais est-ce vraiment dans l’exemple de ces mégères qu’il faut aller chercher les origines du féminisme contemporain ? leurs exploits font-ils partie des revendications féministes ? est-ce sous de telles autorités que s’abritent les féministes de l’heure présente ? C’est une question que, pour ma part, je me refuse à examiner et dont je laisse à M. Lacour toute la responsabilité.

Voici, aujourd’hui, un autre recueil d’études que son auteur, M. Louis Chabaud, intitule les Précurseurs du féminisme[1]. De toute évidence le féminisme de M. Chabaud n’est pas le même que celui de M. Lacour, puisque les précurseurs qu’il lui assigne s’appellent non pas Olympe de Gouges, mais Mme de Maintenon, et non pas Rose Lacombe ou Théroigne, mais Mme de Genlis et Mme Campan. De façon non moins apparente, le féminisme, tel que l’entend M. Chabaud, n’a aucun rapport avec ce qu’on désigne généralement par ce mot ; car, le féminisme n’est rien, ou il est une théorie de l’émancipation de la femme. Or, que la femme puisse être affranchie de la tutelle de l’homme, voilà ce que ni les femmes dont il est ici question, ni aucune de leurs contemporaines n’eût admis. Supposez, si vous êtes en veine d’imaginations facétieuses, que Mme de Maintenon assiste à l’un de nos congrès

  1. Louis Chabaud, les Précurseurs du féminisme, Mme de Maintenon, Mme de Genlis, Mme Campan, 1 vol. in-12 (Plon). M. Chabreul, Gouverneur de Princes, 1 vol. in-8o (Calmann Lévy). Léopold Lacour, les Origines du féminisme contemporain. Trois femmes de la Révolution, 1 vol. in-8o (Plon). — Cf. Gréard, l’Éducation des femmes par les femmes (Hachette) ; Vicomtesse d’Adhémar, Nouvelle éducation de la femme (Perrin) ; Étienne Lamy, la Femme de demain (Perrin).