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composé des accords agréables, ces accords s’appelleront des bouquets. Ces bouquets, plus ou moins riches, pourront, comme les accords musicaux, être majeurs ou mineurs, gais ou tristes. Le clavier des odeurs remplacera le clavier des sons... » Comme les couleurs et les sons, les parfums produisent des sensations artistiques : à chaque état d’âme correspond un parfum. Un homme fort intelligent, fabricant de matières premières, M. E. Baube, m’adressait cette réflexion qui résume nettement l’opinion de tous les parfumeurs : « La parfumerie est un art, l’odorat se montre susceptible d’une éducation artistique au même titre que l’œil ou l’oreille, les parfums divers peuvent très exactement se comparer aux notes et aux couleurs, et un bon parfumeur compose un bouquet comme un musicien une sonate, un peintre son tableau. » Et ceci fait mieux comprendre le mot de Mlle Bertin, célèbre couturière sous Louis XVI, à cette grande dame qui protestait contre le prix d’une toilette : « Ne paie-t-on à Boucher et à Latour que leurs toiles et leurs couleurs ? »

Les odeurs ! On sait la définition naïve de la grisette qui rangeait les fleurs en deux catégories : celles qui sentent bon, celles qui sentent mauvais. Encore fallait-il ajouter : selon moi, car l’odorat a sa religion, ses hérésies, ses lieux communs, ses exceptions, ses doctrines générales et particulières, il y a des odeurs de suffrage universel qui plaisent à la grande majorité, et des odeurs de suffrage restreint, qui plaisent à la minorité ; telle odeur, réputée fort suave, procure un évanouissement, des nausées à certaines personnes. On peut encore diviser les fleurs d’après les saisons et les mois, les vertus médicinales, la mode, la politique, l’origine indigène ou exotique, la couleur, les familles. Voici une classification moins fantaisiste des fleurs d’ornementation : 1° Plantes annuelles et plantes bisannuelles, 2° Plantes vivaces, 3° Plantes bulbeuses, 4° Plantes de serre, 5° Arbres et arbustes, 6° Fleurs spéciales du midi, 7° Fleurs et graminées à sécher pour bouquets d’hiver, 8° Feuillages et verdures, 9° Végétaux aquatiques.

Balzac, notre grand Balzac, était fanatique d’horticulture ; ses Jardies, à Ville-d’Avray, lui semblaient une terre promise des fleurs et des fruits : jadis un raisin célèbre y produisait le vin des rois, le roi des vins ; l’imagination du romancier, galopant dans l’empire de la chimère, lui montrait un Eden, des cultures fabuleuses, exotiques, rémunératrices. Par exemple il plantait