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corbeille est une œuvre d’art, un tableau : les fleuristes le savent si bien qu’une de leurs employées, surnommée la coloriste, est chargée de faire parler aux fleurs leur langage le plus provocant, de les mettre en beauté par l’étalage, par la montre. Une coloriste habile est fort prisée, car c’est elle qui tous les matins fait valoir et multiplie les trésors de grâce et d’harmonie que renferment les fleurs : elle attire le passant, l’envoûte, fait de lui un client, bien qu’il en ait. Et les accessoires des bouquets, vases, corbeilles, paniers, supports, rubans, exigent aussi un goût très affiné. Le commerce de fleurs a des gens de génie, des talens personnels, des talens à la grosse ou à la douzaine, des esprits subalternes et caudataires : Paris garde ici la suprématie.

L’industrie des parfums joue un rôle éminent dans la floriculture, à tel point que le chiffre d’affaires auxquelles il donne lieu, égale, dépasse peut-être celui des fleurs vivantes et coupées : la fleur cueillie est un cadavre. Mais tandis que les fleurs poussent un peu partout, la Provence a fait le monde entier son tributaire pour les parfums, malgré les droits assez élevés que ceux-ci doivent payer sur la plupart des marchés européens : là seulement la fleur possède les vertus spéciales qui produisent les essences supérieures. Le géranium vient en Algérie, mais il ne vaut pas le géranium des Alpes-Maritimes, et se vend meilleur marché. L’arrondissement de Grasse est le centre des usines qui distillent les fleurs et feuillages peu nombreux d’où se tirent les parfums : oranger et bigaradier, tubéreuse, jonquilles, cassie, violette, réséda, géranium, rose, jasmin, myrte, sauge, thym, lavande, verveine, citronnelle, basilic, menthe et mélisse. La France est le plus grand marché du monde : en 1823, le chiffre des affaires de toute la fabrication parisienne ne dépasse pas cinq millions : en 1846 il atteint quatorze millions, vingt-six millions en 1866, quarante-cinq millions en 1878 ; en 1889 la production de la parfumerie française peut s’évaluer à soixante-quinze millions dont l’exportation absorbe la moitié. Telles maisons arrivent à un chiffre d’affaires de cinq, huit, dix millions : d’aucunes travaillent spécialement pour les épiciers, fabriquent de la parfumerie à bon marché, car l’usage s’en répand de plus en plus, et je n’oublierai jamais ce cri d’un pessimiste déclarant que tout était perdu, parce que, dans certains villages riches, les jeunes paysannes faisaient faire leurs photographies, avaient des fausses dents, des bottines, et se parfumaient avec du