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de la rose, sa popularité ; elle plaît aux riches et aux pauvres, il n’y a pas de révolution possible contre elle, sa suprématie ne fléchit pas un instant, elle demeure le personnage sympathique de la floriculture. On dirait qu’elle fut créée par un décret nominatif de l’Eternel, tandis que les autres fleurs n’ont eu qu’un décret collectif. Faut-il l’attribuer à sa beauté, à son élégance, à son parfum, à cette protéité charmante qui lui permet tant d’incarnations et satisfait en nous le double besoin de changer et de durer ? Ou bien encore aux nombreuses légendes qui circulent à son sujet ? Qui sait ? Les. légendes concourent à la gloire des grands hommes, parfois même elles en sont le meilleur fondement : pourquoi ne protégeraient-elles pas la réputation d’une fleur ? En voici une, peu connue, je crois, qui contient aussi un apologue bon à méditer.

Un jour, comme le régime parlementaire régnait au ciel. Dieu assembla la Chambre, et son premier ministre déposa sur le bureau le projet de la Rose, parfumée et délicate, telle que nous la possédons aujourd’hui. Une grande émotion se produisit aussitôt dans la majorité, et des amendemens nombreux se dressèrent contre le projet. Un député s’élance à la tribune et conclut à la suppression radicale des épines ; un autre lui succède et ne veut pas entendre parler des feuilles ; un troisième déclare tout à fait exagéré le nombre des pétales, et sollicite une réduction ; un quatrième se plaint du parfum, etc. Ce que voyant. Dieu prit un grand parti, il prononça la dissolution de la Chambre et décréta la création. Sans cette décision héroïque, observait Raymond Brucker, nous marcherions peut-être à quatre pattes, et nous n’aurions ni les fleurs, ni les oiseaux, ni la verdure pour nous consoler du reste.

Que la première rose nous vienne d’un coup d’Etat ou du régime parlementaire, l’homme a singulièrement amélioré l’œuvre du créateur.

Le forçage des fleurs est une des innombrables applications de cette loi universelle qui met l’homme aux prises avec la nature ; il proteste contre l’hiver, il brouille les Parisiens avec les saisons, il leur fournit des roses pendant toute l’année. Les forceries sont les établissemens, jardins, serres de tout ordre, froides ou chauffées au thermo-siphon, où se réalise ce miracle de grâce et de beauté : elles deviennent de véritables manufactures de fleurs ; en même temps on a institué des conservatoires qui permettent