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une intense production fruitière, maraîchère et florale, des industries comme celle des conserves ; l’offre suffit à la demande, le producteur crée souvent le consommateur, et là aussi, le crédit, cette alchimie de la richesse, accomplit ses prodiges coutumiers ; le luxe, la vanité, quelques-uns des péchés capitaux, quelques vertus aussi, contribuent à cette prospérité. L’an dernier, un amateur payait 30 000 dollars certain pied d’œillet, le seul de son espèce, et l’on assure que M. Vanderbilt, mariant une de ses filles, fit tapisser l’église tout entière d’orchidées, pour une somme de 500 000 francs. Un seul spécialiste cultive 38 hectares de glaïeuls. Mme Henry Barroilhet, veuve d’un banquier français, possède une ferme consacrée à la culture des fleurs pour le marché de San-Francisco : chaque jour, elle expédie par milliers chrysanthèmes, bouquets de violettes, roses duchesses de Brabant : les bouquets de violettes se vendent 2 dollars et demi la douzaine. D’après M. Charles Baltet, auteur d’un bon ouvrage sur l’Horticulture dans les cinq parties du monde, les États-Unis, en 1894, ne comptaient pas moins de 20 000 établissemens ou pépinières, exploités par un capital de 800 millions de francs, avec un personnel dépassant 200 000 personnes, sans compter les boutiques des fleuristes. Le Central Park, à New York, occupe une superficie de 300 hectares ; Forest Park, à Saint-Louis, ne mesure pas moins de 550 hectares : créer des parcs paysagers, où les ondulations de terrains, gazons, arbres demeurent les principaux élémens de décoration, tel semble le but de leurs dessinateurs : très peu de massifs de fleurs, mais des perspectives ouvertes sur des prairies, sur des bouquets de bois et des lacs artificiels, afin d’obtenir le délassement de l’esprit et des yeux en sortant du brouhaha de la rue, la sensation exquise des lointains horizons, cette sensation comparable à celle d’un bain très frais pendant une brûlante journée d’été. Ce système triomphe pleinement à Buffalo, Chicago, Boston ; dans les deux premières villes, les parcs intérieurs sont réunis par une longue bande de boulevards ornés ; à Boston, tout se concentre en un immense parc intérieur. Les Américains sont le seul peuple qui ait déclaré Parc National un district tout entier, celui de Yellowstone, unique pour ses beautés naturelles, tandis que la France laisse saccager par l’industrie ou l’exploitation intensive de magnifiques paysages. Que dirait maintenant Delille, qui, au XVIIIe siècle, se plaignait d()jà de ces destructions d’arbres séculaires ?