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que je respecte parce que je le crois sincère, mais qui me paraît s’égarer bien loin des voies de la justice républicaine. » Patriotisme et justice républicaine se trouvaient donc en conflit : la gauche était à un carrefour. En son radicalisme positiviste, le docteur Robinet, lui, n’éprouvait nul embarras : il écrivait un long article, dans la Revue occidentale, pour justifier la maxime fameuse : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » On ne pouvait mettre plus de franchise au service de plus de logique ; et cette thèse ne surprenait point sous la plume d’un homme aussi sensible, qui dénonçait un jour, comme un symptôme alarmant pour l’humanité, l’affluence des curieux attirés par l’exhibition d’un nouveau type de torpilleur. Ainsi la justice républicaine se superposait au patriotisme ; et elle tenait en réserve, contre les colonies, un arrêt de mort dûment rédigé.

De nombreux considérans motivaient ce verdict : Gagneur, A. S. Morin, le futur contre-amiral Reveillère, les congressistes genevois, apportaient chacun leur texte. Gagneur, dans la presse franc-comtoise, essayait d’accabler Ferry sous le poids de certaines théories humanitaires ; Morin, conseiller municipal de Paris, stigmatisait la politique coloniale comme la continuation du régime de la barbarie ; M. Reveillère proclamait qu’ « une démocratie ne peut fonder des colonies de domination sans mentir à tous ses principes ; » et la revue Les États-Unis d’Europe, fort experte à diagnostiquer la santé de notre République, affirmait en 1885 : « La politique dont M. Clemenceau s’est fait l’interprète est la vraie politique républicaine. »


III

Il suffisait, en fait, qu’en un point du monde le deuil de notre drapeau s’éclairât d’un scintillement de gloire, pour qu’à Genève ou à Paris cette « vraie politique républicaine » encombrât de ses chicanes ou troublât de ses scrupules nos premières allégresses patriotiques. En 1880, nous annexons Taïti : les États-Unis d’Europe regrettent que cette annexion n’ait pas été précédée d’un plébiscite des Taïtiens. Les Malgaches, ensuite, nous veulent mettre en échec : la revue genevoise, alors, après avoir applaudi comme il convenait une interpellation de M. de Lanessan contre Jules Ferry, explique à satiété que la France s’honorerait, en présence d’un adversaire aussi faible que les