Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

coloniale, nos énergies courbatues auraient désormais une tâche. Ainsi discutait-on, souvent avec âpreté, sur les leçons que semblaient apporter les circonstances : au dire des uns (et, parmi eux, la droite presque entière se rangeait), elles nous invitaient au recueillement ; au dire de Ferry, elles nous invitaient à l’expansion. Mais, de part et d’autre aussi, l’on se refusait à rêver d’une France qui, béatement ambitieuse d’incarner la conscience du monde et de communier spirituellement avec toutes les nations, sacrifierait à cette humanitaire volupté le souci de sa propre gloire et la vigoureuse autonomie de l’âme nationale.

Au contraire, l’hostilité constante que témoignèrent à Ferry les hommes de l’extrême gauche, devenus les légataires universels du vieil humanitarisme républicain, apparaît comme l’un des épisodes les plus instructifs de l’histoire des idées politiques sous la troisième République. Le recul des événemens, qui en simplifie la complexité, nous permet de voir surgir, de la réalité même, une sorte de vérité supérieure et de saisir, derrière les luttes parlementaires que parfois des combinaisons suspendent, l’irréductible antagonisme des idées. On peut dire dès aujourd’hui, à la faveur de ce recul, que « l’homme du Tonkin » n’était séparé de ses contradicteurs de droite que par des questions d’opportunité et par des querelles de parti, et qu’il était séparé de l’extrême gauche par des questions de doctrine.


II

Le comte Albert de Mun, qui savait comme Mgr Freppel, lorsque les intérêts coloniaux étaient en jeu, préférer les applaudissemens du centre à ceux de ses amis, ne put se défendre de regretter, à plusieurs reprises, que Ferry ne parlât jamais au pays que « de petites opérations successives, sans lui découvrir aucunes larges visées : » ces demi-silences, ces artifices renouvelés, qui mettaient la Chambre et la France en présence de faits accomplis, étaient en effet pour notre démocratie une assez médiocre éducation. Mais la faute en était-elle à Ferry ? Travaillant à sa façon pour que, dans le monde, la France fît quelque figure, et sentant survivre et comploter, en face de sa politique, le vieil esprit républicain, il se devait peut-être résigner à cette tactique, de ne mobiliser nos hommes que par petits paquets à l’encontre des Chinois, et de ne mobiliser ses idées que par petits