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coryphée où se trouvaient déloyalement rassemblées trente-deux paires de chaussons neufs, révélèrent le commerce clandestin dont ces fournitures étaient l’objet. Revendus par des gamines peu appointées, qui se procuraient ainsi des bottines de ville ou de l’argent de poche, les chaussons échappés de l’Académie nationale de musique approvisionnaient à bon marché des music-hall et des scènes de second rang.

De ces souliers professionnels, blancs, roses ou puce, — ceux-ci réservés aux répétitions et aux classes, — la distribution normale demeure assez large : les étoiles et les premiers sujets ont droit à une paire par acte ou par soirée ; les quadrilles les moins largement pourvus en ont une par douze représentations. Une égale surveillance préside à la consommation de ces pantalons de tricot, auxquels la légende veut que M. Maillot, bonnetier dramatique, ait attaché son nom : maillots de soie ou de coton, maillots classiques, couleur chair, ou « de caractère, » à nuances variées, maillots de corps, de jambes ou « à combinaison, » allant des pieds à l’épaule. — « Mademoiselle, prenez donc garde, dit l’habilleuse, vous allez déchirer votre maillot. — Si je le déchire, on le verra bien, » répond l’espiègle danseuse qui en veut un neuf. Mais les amendes ont vite fait de donner du soin à celles qui en manquent.

Le public croit volontiers que les maillots ne sont pas sincères, que leur indiscrétion à dessiner les formes est tempérée par un coton optimiste qui montre les choses en beau. Il n’en est rien. Les ballerines, dotées de mollets insuffisans, ne peuvent s’en fabriquer de postiches : cette surcharge alourdirait la jambe, gênerait les articulations et, humectée par la sueur, en paralyserait le jeu. Les entrechats et les pirouettes risqueraient aussi de ramener le coton sur le devant des tibias. Les « petites femmes » des pièces à spectacle, dont le rôle simplement consiste à incarner des entités imaginaires en un déshabillé tangible, ne sont pas davantage capitonnées. Sur cent cinquante beautés qui figurent dans une féerie, trois ou quatre seulement ont des « maillots garnis. » La visite préalable de leur personne, à laquelle seraient soumises par la direction ces artistes muettes, est une fable. L’homme du métier discerne, sous la toilette de jour, les qualités plastiques des postulantes et, s’il se trompe, les change de destination. — « Monsieur, interroge un « petit rôle, » abordant le directeur avec des larmes dans la voix