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les échancrures de calicot d’un rideau de fond, nous donne l’aspect d’une mer phosphorescente et des luisantes caresses de la lune sur les flots ; c’est elle à qui nous devons l’étoile scintillante dans un ciel serein ; elle encore qui, d’un papier de soie chiffonné dans un coffret de cristal, crée la tunique sanglante de Nessus ; ou qui, dans Guillaume Tell, faisant passer devant la lentille de ses projecteurs des rubans d’étoffe transparente, barbouillée et jaspée comme la couverture d’un livre de classe, dessine, sur un tulle immobile au fond du théâtre, ces gros nuages noirs dont la course lugubre semble hâtée par le vent.

Auxiliaire de l’électricien, mais cependant à la tête d’un service nettement séparé, le chef artificier imite avec des pétards les fusillades dans la coulisse, préside à la charge des armes à feu, munies de bourres en poil de vache qui s’éparpille sans danger d’incendie, et tire, s’il le faut, des coups de canon. La fumée d’apothéose, faite avec du sucre de lait, est de son ressort, ainsi que les vapeurs d’eau. Des générateurs sont allumés à six heures du soir, pour être en pleine pression au moment où les bouffées, s’échappant par de nombreux conduits, devront jouer leur rôle dans un embrasement imaginaire.

Le magnésium zèbre l’horizon d’éclairs peu éloignés de la réalité ; les feux de Bengale, que l’on fabrique maintenant sans fumée ni odeur, prêtent aux recoins obscurs leurs lueurs nuancées, et le lycopode sert à lancer dans l’espace des tourbillons de flammes jaunes, inoffensives bien qu’effrayantes d’aspect, parce qu’elles ne produisent pas d’étincelles et s’éteignent instantanément. Le lycopode est la matière fécondante d’une sorte de mousse compacte, qui croît dans les bruyères et les bois. On le récolte en Suisse, en Allemagne et en Russie, et son mode d’emploi est des plus simples : autour de la lampe à alcool est une vulgaire passoire, remplie de cette poussière de pistil, que l’on souffle par-dessous au moyen d’une longue pipe. Soulevée par l’air, elle s’enflamme aussitôt au contact de la mèche allumée, jaillit en météore, et s’éclipse.

Quels que soient, disent les hommes de théâtre, les progrès réalisés jusqu’ici dans l’éclairage, il en resterait un capital à accomplir : ce serait d’imiter la nature, de supprimer tous ces appareils qui répandent et seringuent leurs feux comme ils peuvent, sur les acteurs, de biais ou par en bas, et de leur substituer un plafond lumineux, si haut placé que le public ne le pût voir.