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REVUE DES DEUX MONDES.

À quatre heures, le Yamen communique aux ministres des dépêches de leur gouvernement, et demande en même temps une entrevue. Le corps diplomatique accorde cette entrevue et la fixe à demain, à onze heures du matin.

À huit heures, nous allons, M. Labrousse et moi, sur le seuil de la porte de la salle à manger (maison d’Anthouard), et nous regardons le parc que les herbes ont envahi depuis que personne ne le foule. Labrousse me fait remarquer que, de l’endroit où nous sommes, un factionnaire verrait très bien l’ennemi s’avancer, et pourrait prévenir tout de suite si cet ennemi tentait un assaut. Sa phrase n’est pas achevée qu’une balle le frappe au front, entre les deux yeux. Il tombe en arrière, sans pousser un seul cri ; la mort a été foudroyante. Je commence à croire que je porte malheur à ceux qui m’approchent.

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13 août. — La fusillade a duré toute la nuit ; mais pas un des Chinois ne s’est avancé dans le parc.

À neuf heures du matin, nous enterrons le capitaine Labrousse, à la légation d’Angleterre.

Le corps diplomatique attend en vain les membres du Tsung-Li-Yamen, qui, finalement, ne viennent pas et font dire que : « tandis que le gouvernement chinois ne désirait que le retour de la paix, les légations avaient ouvert le feu sur les soldats chinois la nuit dernière et tué vingt-six s’entre eux. »

Après-midi à peu près calme. Sir Claude Macdonald, M. de Giers, ministre de Russie, et Mme de Giers viennent voir notre légation, qui est réellement belle à voir. Le tiers, occupé par les Chinois, n’est qu’un amas de décombres ; le tiers que nous occupons est ravagé par les balles et les obus ; enfin le troisième tiers, le parc, n’appartient à personne, et nul n’a le droit d’y mettre les pieds ; mais, jusqu’à présent du moins, aucun ennemi n’a encore foulé la terre où dorment nos camarades, nos morts, qui reposent là-bas, à 20 mètres des barricades chinoises.

Vers huit heures, un orage très violent est le signal d’une attaque plus forte encore que celle de la veille, et qui dure jusqu’à minuit. Il est impossible dévaluer, même approximativement, le nombre de balles qui tombent sur nos retranchemens.

14 août. — De minuit à deux heures, repos.

À deux heures, reprise de la fusillade. Nous entendons, en même temps, des coups de canon dans le sud et dans le sud-est