ne soient au fond très despotes, plus despotes que les princes, ils ne veulent pas que les princes aient des amis, de la reconnaissance pour les services passés, et donnent des hochets à de vieux serviteurs pour les consoler de leurs disgrâces politiques et matrimoniales, A quoi sert d’avoir été homme de lettres, journaliste, ministre tant d’années, si on a l’épiderme si sensible ? »
Intervenir dans la vérification des pouvoirs semblait, à Thiers, indigne de son importance, et il voulait, ce qui était tout naturel, débuter par quelque grand discours de principes. Mais il attachait une importance capitale à une attaque vigoureuse contre les élections, et il voulait qu’à cette occasion, on fît contre le gouvernement du pire qu’on pourrait. Il chargea Jules Ferry de m’écrire : « Cher ami, je m’arrache à mes épreuves, qui sont de terribles tyrans pourtant, pour vous dire : revenez vite, revenez. Sérieusement, très sérieusement, il y a intérêt à ce que vous soyez ici le 1er novembre. M. Thiers, que je vois fréquemment, et qui est du dernier gracieux pour l’historien de l’élection, vous en supplie, c’est son expression. Il dit, avec infiniment de raison que cette vérification est une affaire énorme, un dossier qui pèse cent kilos, que la fortune permet que ce soit l’unique affaire de ce moment-ci, qu’il faut la bien mener, se partager les rôles, choisir le terrain, que pour cela il faut se voir. J’ai ajouté que rien ne se ferait si votre initiative irrésistible ne s’en mêlait. Simon fait la coquette ; Favre est on ne sait où ; Picard a des clous ; Berryer étudie la question américaine, dans le plus grand secret ; je note ici que nous sommes à la veille de la reconnaissance du Sud, avis à vous. M. Thiers ajoute : « Si la vérification ne tient pas ce qu’on en attend, nous sommes perdus pour une session. » Si vous saviez comme l’opinion est bien préparée, non seulement à Paris, mais en province. Venez donc, cher, comme toujours, apporter l’âme, la vie, la décision, tout ce qui fait que les plus aigres, en somme, s’inclinent et vous cèdent en tout. Le public est avide, gagné d’avance ; les préfets affluent ici, suppliant qu’on ne les abandonne pas. Si la discussion est menée par vous et par le petit malin de la place Saint-Georges, la liberté aura gagné vingt ans en dix jours. Tout vôtre (Octobre 1863), »
EMILE OLLIVIER.