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que l’intérêt, changeant sans cesse de nature, ne s’épuise pas. Les mouvemens secrets ou contradictoires du cœur humain sont démêlés avec autant de sagacité que les manœuvres des armées ou que les combinaisons de la diplomatie, et l’étendue d’esprit qui saisit l’ensemble des faits et les embrasse d’un coup d’œil n’exclut pas l’analyse pénétrante qui en aperçoit les nuances les plus délicates. Le style précis, transparent, d’une justesse imperturbable, d’une souplesse prodigieuse, à l’occasion fort ou éloquent, d’un mouvement qui varie à tout instant d’allure sans se ralentir, négligé parfois, mais jamais lourd, à défaut du relief des mots offre celui des choses ; il ne reluit pas, il coule ; il ne colore pas, il dessine et montre ; il n’est pas forgé péniblement, il s’échappe avec une intarissable aisance d’une intelligence toujours ouverte ; il n’impose pas l’émotion par l’emportement concentré de quelques traits, il l’insinue par la force toujours agissante de la simplicité, de la vérité et de la vie. « Tacite n’a qu’un mot et Thiers a cent pages, mais de ces cent pages, résulte dans l’âme le mot de Tacite[1]. »

On a écrit beaucoup d’histoires de la Révolution d’après de nouveaux documens plus ou moins sérieux, son histoire reste la meilleure, la plus judicieuse, la moins inexacte. Le récit de l’immortelle campagne de 1796 fait d’après Jomini, est un modèle achevé de narration claire, vive, bien composée, entraînante, et lorsqu’on arrive au bout, après une lecture à laquelle on n’a pu s’arracher, on se sent soulevé par l’enthousiasme auquel s’abandonne le narrateur. Dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, chaque fois que l’on creuse une question particulière, on est frappé de la manière superficielle dont elle a été traitée, mais la puissance de composition et de mouvement, malgré l’immensité des développemens, est encore supérieure et, de ce livre écrit d’un style dénué de couleur et d’ornement, sort une immense poésie. Où trouver un récit comparable à celui du séjour de Napoléon à Fontainebleau ? Il ne fait aucune phrase où d’autres en auraient fait tant pour décrire l’isolement sans cesse croissant autour du grand homme, et c’est dans le style le plus nu qu’il note ce bruit de voiture, signal des dernières défections, de plus en plus rare dans la cour déserte. Et cependant l’émotion du lecteur est à son comble lorsque, empruntant une image, ce qui

  1. Lamartine.