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Voici la réponse de M. Goyau :

M. Reinach se défend, dans sa lettre, d’avoir prononcé en loge une « phrase imbécile. » Qu’il veuille bien nous relire ; nous ne lui attribuons aucune phrase. Nous « laissons la parole au chroniqueur : » ce sont nos propres expressions ; et le chroniqueur, qui se tenait sur les colonnes de la loge, résume la portée de la conférence en prêtant à M. Reinach une attitude et un geste : il nous le montre « se déshabillant sous le cordon maçonnique, » et « jetant par-dessus bord les ralliés au parti gambettiste. » Le chroniqueur, non plus que nous-même, n’impute à M. Reinach une phrase textuelle ; mais avec ses souvenirs, ses impressions, ses métaphores, avec son tour d’esprit personnel — pourquoi parler ici d’imbécillité ? — il rend compte d’un « morceau d’architecture » qui lui a semblé piquant et imprévu.

Il est fâcheux, en vérité, que la rigueur du secret maçonnique nous ait dérobé le texte même de ce morceau. Nous l’avons vainement cherché dans le recueil des Travaux de la loge Alsace-Lorraine. Mortifiant alors notre habituel désir de remonter aux textes, il nous fallut nous contenter des indiscrétions d’un auditeur, indiscrétions éminemment maçonniques, imprimées dans un organe jadis fort estimé, le Bulletin maçonnique de la grande loge symbolique écossaise.

Ces indiscrétions, les voici, intégralement reproduites : « Dans la longue allocution qu’il a prononcée, le F.-. Reinach a fait preuve d’un courage réellement digne d’un sort plus heureux. Se déshabillant complètement sous le cordon maçonnique, et se mettant nu comme la Vérité, il a jeté par-dessus bord les ralliés au parti gambettiste ; en cela faisant cause commune avec nombre d’auditeurs qui s’obstinent à les tenir pour la honte de la République. Tous, plus ou moins, — surtout plus, — ont été heureux d’enregistrer l’aveu de notre F.-. Reinach quand il a dit que Gambetta s’était appliqué à s’attacher des créatures prêtes à tout pour avoir des places, par crainte de voir ces créatures s’en aller quémander les faveurs des monarchistes. Et quand il a ajouté que son ex-patron prétendait que le meilleur moyen d’avancer était démarquer le pas sur place, peut-être tous les bravos qui retentirent ne sauraient-ils être mis à l’actif de cette façon de voir par l’actionnaire de la République française. Certes, après le discours du F.-. Reinach, nous pouvons sans crainte défier tout F.-., si entaché d’opportunisme qu’il soit, de serrer la main à un grand fonctionnaire quelconque sans arrière-pensée. Et cela n’a pas laissé que de nous peiner vivement, en raison des liens de fraternité qui unissent