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surtout, une rivalité sourde entre l’Italie et l’Autriche en Albanie. Le comte Goluchowski, au milieu des préoccupations de l’heure présente, préoccupations qu’il n’a rien fait pour dissimuler, a chanté un hymne pompeux en l’honneur de la Triple-Alliance. Là est le port à ses yeux, là est le salut. Si tant de choses l’affligent et l’inquiètent, la Triple-Alliance le rassure, et il la met dès lors au-dessus de tout. Quelques esprits, en Autriche même, commencent à se demander si elle est vraiment cette panacée infaillible qui sert et qui suffit à tout : la même question se pose à un plus grand nombre encore en Italie.

Nous ne nous faisons aucune illusion ; ici et là, ces esprits ne constituent qu’une petite minorité ; mais enfin ils existent, ils pensent, ils parlent, et on est bien obligé d’en tenir quelque compte. A Rome, ils s’intéressent beaucoup aux conditions dans lesquelles seront renouvelés les traités de commerce. Si nous nous laissions aller à l’ironie de nos souvenirs, nous rappellerions que, lorsqu’il s’est agi, de l’autre côté des Alpes, de conclure un arrangement commercial avec nous, on nous disait très fièrement que le commerce et la politique étaient et devaient rester indépendans l’un de l’autre. Les mêler en quelque mesure, fi donc ! C’était d’une âme peu relevée. Aujourd’hui on parle tout autrement à l’Autriche et à l’Allemagne. On reconnaît, et même on proclame, que les relations commerciales ont une influence inévitable sur les relations politiques : celles-ci ne dépendent pas de celles-là, mais elles s’en ressentent. La thèse, pour être moins sublime, est peut-être plus pratique et plus vraie. Par un juste retour des choses d’ici-bas, le comte Goluchowski parle maintenant des traités de commerce à peu près comme l’Italie nous en parlait naguère, et l’Italie en éprouve de l’irritation. « Ce serait favoriser une théorie dangereuse, a déclaré doctrinalement le ministre austro-hongrois, que de vouloir faire dépendre les alliances politiques, qui poursuivent des buts plus hauts, d’une solution absolument satisfaisante des questions commerciales. » Le comte Goluchowski n’hésite pas à affirmer, et cette fois l’éloquence l’emporte un peu loin, que ces « instigations systématiques, » si elles ne rencontraient pas d’opposition auprès des masses populaires, pourraient favoriser « ces gens remuans auxquels l’état de choses actuel de l’Europe est désagréable à voir pour des motifs bien connus. » En conséquence il y fait courageusement opposition. « On doit, dit-il, éclairer l’opinion publique, afin de persuader le peuple que, malgré la grande importance des affaires commerciales, et le devoir qu’a chaque gouvernement de les protéger, une alliance politique ne peut être une compensation suffisante à un traité de commerce.