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douter. Il ne fait rien pour provoquer autour de lui une agitation bruyante. S’il avait jadis uni son sort à celui des autres accusés, le gentiment général est qu’il aurait été acquitté, car les charges qui pesaient sur lui étaient si légères, qu’on ne pouvait pas l’accuser avec vraisemblance d’avoir mis la République en péril. Mais comment préjuger ses intentions actuelles ? Il ne les a fait connaître encore à personne. S’il était vrai qu’il eût voulu provoquer un grand mouvement d’opinion autour de lui, il a déjà pu s’apercevoir à quel point il se serait trompé. L’équipée récente de M. Déroulède a épuisé tout l’intérêt d’une affaire qui a été très artificielle depuis son origine. Le gouvernement, qui en avait besoin alors pour se poser en sauveur, ne peut en retirer désormais aucun nouveau bénéfice, et l’opinion a cessé de s’en émouvoir. La Haute-Cour se réunira au milieu d’une Indifférence à peu près générale : les radicaux-socialistes eux-mêmes ne prennent pas l’incident au sérieux.

Mais qu’est-ce à dire, sinon que l’apaisement commence à se faire, ou plutôt qu’il s’est fait autour des questions qui nous ont si vivement agités il y a dix-huit mois ? Tout cela parait lointain et s’efface, sinon dans les mémoires, au moins dans les cœurs. Que n’a-t-on profité de cet état des esprits, et que n’en profite-t-on encore pour faire l’amnistie ? Si on l’avait faite plus tôt, l’incident Lur-Saluces ne se serait pas produit, et tout le monde y aurait gagné. Et, si l’on répond à cela que cet incident ne cause aucune gêne véritable, et qu’il est tout au plus ennuyeux, c’est une raison de plus pour conclure que l’heure a sonné de jeter sur le passé le voile officiel de l’oubli, puisque l’oubli réel s’est fait tout seul. Telle est, à notre sens, la seule leçon à tirer de la rentrée de M. de Lur-Saluces en France et du peu d’impression qu’elle a produit ; mais cette leçon sera-t-elle comprise ? On jugera donc le contumace. Qu’il soit condamné ou acquitté, personne à coup sûr n’y attachera la moindre importance politique. A quoi donc peut servir le procès ? A faire perdre une semaine au Sénat, voilà tout. Cela, d’ailleurs, ne rehaussera le prestige, ni de la haute assemblée, ni du gouvernement, ni de l’opposition. Quand un feu d’artifice a été tiré, une fusée oubliée part quelquefois tout à coup et fait à peine tourner la tête à la foule qui s’en allait.


M. le comte Goluchowski, ministre des Affaires étrangères d’Autriche-Hongrie, a fait à Vienne, devant la Délégation hongroise, son exposé annuel de la situation. Il est toujours intéressant de l’entendre ; mais, cette année, l’intérêt a été plus grand encore que d’habitude, tant