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province, il cite les cas de contrainte sur leur conscience dont il a eu personnellement connaissance.

Ce n’est pas un réactionnaire qui témoigne ici, ni un obscurantiste. De tous les régimes du siècle qu’il a soumis à sa critique, celui du Seize-Mai est le plus sévèrement jugé. Le censeur du parti monarchique résume en ces termes, un peu coupans, son sentiment sur les adversaires de la République : « Chaque nouvelle occasion (qui leur fut donnée) ne servit qu’à prouver qu’en France l’antirépublicanisme est synonyme d’inaptitude et de faiblesse politique. » — Il rappelle avec réprobation, comme un exemple typique d’illibéralisme, le cas de Mgr Dupanloup, sortant de l’Académie après l’élection de Littré. Mais il incline à décerner le premier prix de fanatisme aux anticléricaux qu’il vit en province, dans les administrations, les comités, les loges. Dans les sphères élevées, il est particulièrement choqué par une de ces lois non écrites qui sont les plus scrupuleusement observées : l’interdiction absolue pour les ministres et pour les hauts dignitaires de prononcer publiquement le nom de Dieu. — « Le chef de l’Etat, qui, en vertu du Concordat, préside des cérémonies quasi ecclésiastiques, telles que la remise de la barrette aux cardinaux, évite de paraître officiellement dans les églises, comme si elles étaient de mauvais lieux. » — Il n’y a d’exception que pour l’église russe. — « A chaque fête de la famille impériale des Romanoff, les hauts fonctionnaires de la République s’y précipitent en foule. Leur zèle est à ce point assidu qu’un étranger, comme le Persan de Montesquieu, pourrait penser que les anticléricaux français en veulent, non pas au Christianisme, mais à l’article Filioque du Credo d’Occident. » — On sait que l’alliance de la République avec le Tsar reste pour les Anglais l’objet d’un étonnement plus ou moins sincère ; de là cette dernière remarque, et, plus loin, cette autre pointe : « Pénétré d’affection pour la France, comme je le suis, j’ai été parfois tenté de regretter qu’au lieu de demander à la Russie son alliance et d’emprunter à l’Angleterre ses institutions parlementaires, elle n’ait pas emprunté à la Russie ses modèles de gouvernement et cherché en Angleterre ses amitiés. »

Si la liberté, au sens anglais du mot, n’est en France qu’un hiéroglyphe incompris gravé sur une porte de prison, l’égalité demeure la passion dominante de notre peuple, M. Bodley s’en rend compte. Il se divertit pourtant à relever des anomalies bizarres.