Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
662
REVUE DES DEUX MONDES.

s’en étaient mêlés et n’avaient allégué des difficultés de doctrine dont s’émut le Saint-Siège, c’était fait : la Chine fût devenue rapidement chrétienne au xviie siècle, car le gouvernement favorisait les missions et y eût prêté la main[1].

Telle était la Chine d’alors. S’est-elle donc transformée depuis ? Aucunement : c’est un pays qui ne se transforme pas ainsi ; et l’âge vénérable de ses institutions que, de sa propre bouche, le souverain déclare reconnaître comme caduques, le prouve suffisamment. D’où vient le changement ? Nos sociétés chrétiennes, faut-il le faire remarquer ? se sont elles-mêmes modifiées depuis ce temps en continuant leur évolution rapide à travers les convulsions causées par l’émancipation des races, par le progrès et l’application des sciences ; et peut-être bien que maintenant, poussées par de nouveaux besoins, maîtresses de la force, il leur est devenu plus difficile de s’entendre avec les races païennes. Peut-être bien aussi, d’un autre côté, — et faudrait-il s’en étonner ? — que, s’irritant de nos perpétuelles exigences, d’humeur et de taille à s’opposer à l’exploitation, d’après elles égoïste, par l’étranger des champs fertiles qu’elles possèdent, certaines de ces nations païennes se rebellent : c’est le cas aujourd’hui pour la nation chinoise. Les jésuites nous l’ont dépeinte comme admirable, à son état normal, dans un moment où son gouvernement, non encore effarouché par nos demandes incessantes, nous regardait avec faveur ; et si elle a changé, ce n’est pas dans son peuple, dans ses instincts, dans son caractère, mais uniquement dans sa manière d’être à notre égard. Elle ne nous estime plus ; elle voudrait ne plus nous connaître et pouvoir rentrer dans son isolement ; aussi, n’avons-nous plus devant nous que la Chine officielle ; nous ne parlons plus que de

  1. Les premiers Jésuites qui visitèrent la Chine, et notamment Ricci (1581 à 1610), avaient choisi le mot T’ien pour désigner Dieu en Chinois ; mais, dès l’arrivée des Dominicains en 1631, commencèrent de longues controverses ; on accusa les Jésuites de chercher, par ce choix du mot T’ien et l’autorisation qu’ils accordaient à leurs néophytes de continuer leur culte à la mémoire des ancêtres et du sage Confucius, à assimiler la doctrine du vrai Dieu à la religion des Chinois. La question fut portée devant Innocent X, qui, en 1645, condamna les Jésuites ; mais, dix ans plus tard, Alexandre VII leva cette sentence en déclarant que les rites chinois en litige étaient purement civils et ne pouvaient d’aucune façon porter atteinte aux dogmes de la foi chrétienne. La question en resta là jusqu’en 1703, date à laquelle Clément XI condamna de nouveau les Jésuites. L’empereur K’anghsi se mêla lui-même de la question : il tint pour les Jésuites et déclara que seuls les missionnaires qui suivaient les principes de Ricci seraient autorisés en Chine.
    (Le Saint-Édit, note p. 136.)